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Le Feu (Journal d'une Escouade)

Le Feu (Journal d'une Escouade)

Titel: Le Feu (Journal d'une Escouade)
Autoren: Henri Barbusse
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le cadavre et le lava pendant que nous le regardions.
    On cria :
    – Il a la figure toute noire !
    – Qu'est-ce que c'est que cette figure ? haleta une voix.
    Les valides s'approchaient en cercle comme des crapauds. Cette tête qui apparaissait en bas-relief sur la paroi que la chute de terre avait mise à nu, on ne pouvait pas la dévisager.
    – Sa figure ! C'est pas sa figure !
    À la place de la face, on trouvait une chevelure.
    Alors on s'aperçut que ce cadavre qui semblait assis était plié et cassé à l'envers.
    On contempla dans un silence terrible, ce dos vertical que nous présentait la dépouille disloquée, ces bras pendants et courbés en arrière, et ces deux jambes allongées qui posaient sur la terre fondante par la pointe des pieds.
    Alors le débat reprit, réveillé par ce dormeur effroyable. On clama furieusement comme s'il écoutait :
    – Non ! être vainqueurs ce n'est pas le résultat. Ce n'est pas eux qu'il faut avoir, c'est la guerre.
    – T'as donc pas compris qu'il faut en finir avec la guerre ? Si on doit remettre ça un jour, tout c'qui a été fait ne sert à rien. Regarde ; ça ne sert à rien. C'est deux ans ou trois ans, ou plus, de catastrophes gâchées.
    – Ah ! mon vieux, si tout c'qu'on a subi n'était pas la fin de c'grand malheur-là – j'tiens à la vie : j'ai ma femme, ma famille, avec la maison autour d'eux, j'ai des idées pour ma vie d'après, va… Eh bien, tout de même, j'aimerais mieux mourir.
    – J'vais mourir, fit en ce moment précis, comme un écho, le voisin de Paradis, qui sans doute avait regardé la blessure de son ventre, je l'regrette à cause de mes enfants.
    – Moi, murmura-t-on ailleurs, c'est à cause de mes enfants que je ne le regrette pas. J'vais mourir, donc j'sais c'que j'dis, et j'me dis : « I's auront la paix, eux ! »
    – Moi, j'mourrai p't'êt' pas, dit un autre avec un frémissement d'espoir qu'il ne put contenir, même à la face des condamnés, mais j'souffrirai. Eh bien, j'dis : tant pis, et j'dis même : tant mieux ; et j'saurai souffrir plus, si je sais que c'est pour quelque chose !
    – Alors faudra continuer à s'battre après la guerre ?
    – Oui, p't'êt'…
    – T'en veux encore, toi !
    – Oui, parce que j'n'en veux plus ! grogna-t-on.
    – Et pas contre des étrangers, p't'êt', i' faudra s'battre ?
    – P'têt', oui…
    Un coup de vent plus violent que les autres nous ferma les yeux et nous étouffa. Quand il fut passé, et qu'on vit la rafale s'enfuir à travers la plaine en saisissant par endroits et en secouant sa dépouille de boue, en creusant l'eau des tranchées qui béaient longues comme la tombe d'une armée – on reprit :
    – Après tout, qu'est-ce qui fait la grandeur et l'horreur de la guerre ?
    – C'est la grandeur des peuples.
    – Mais les peuples, c'est nous !
    Celui qui avait dit cela me regardait, m'interrogeait.
    – Oui, lui dis-je, oui, mon vieux frère, c'est vrai ! C'est avec nous seulement qu'on fait les batailles. C'est nous la matière de la guerre. La guerre n'est composée que de la chair et des âmes des simples soldats. C'est nous qui formons les plaines de morts et les fleuves de sang, nous tous dont chacun est invisible et silencieux à cause de l'immensité de notre nombre. Les villes vidées, les villages détruits, c'est le désert de nous. Oui, c'est nous tous et c'est nous tout entiers.
    – Oui, c'est vrai. C'est les peuples qui sont la guerre ; sans eux, il n'y aurait rien, rien, que quelques criailleries, de loin. Mais c'est pas eux qui la décident. C'est les maîtres qui les dirigent.
    – Les peuples luttent aujourd'hui pour n'avoir plus de maîtres qui les dirigent. Cette guerre, c'est comme la Révolution française qui continue.
    – Alors, comme ça, on travaille pour les Prussiens aussi ?
    – Mais, dit un des malheureux de la plaine, il faut bien l'espérer.
    – Ah zut, alors ! grinça le chasseur.
    Mais il hocha la tête et n'ajouta rien.
    – Occupons-nous de nous ! Il ne faut pas s'mêler des affaires des autres, mâchonna l'entêté hargneux.
    – Si ! il le faut… parce que ce que tu appelles les autres, c'est justement pas les autres, c'est les mêmes !
    – Pourquoi qu'c'est toujours nous qui marchons pour tout le monde !
    – C'est comme ça, dit un homme, et il répéta les mots qu'il avait employés à l'instant : Tant pis ou tant mieux !
    – Les peuples, c'est rien et ça devrait être tout,
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