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Le Feu (Journal d'une Escouade)

Le Feu (Journal d'une Escouade)

Titel: Le Feu (Journal d'une Escouade)
Autoren: Henri Barbusse
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bien forcé de voir que si chaque nation apporte à l'Idole de la guerre la chair fraîche de quinze cents jeunes gens à déchirer chaque jour, c'est pour le plaisir de quelques meneurs qu'on pourrait compter ; que les peuples entiers vont à la boucherie, rangés en troupeaux d'armées, pour qu'une caste galonnée d'or écrive ses noms de princes dans l'histoire, pour que des gens dorés aussi, qui font partie de la même gradaille, brassent plus d'affaires – pour des questions de personnes et des questions de boutiques. Et on verra, dès qu'on ouvrira les yeux, que les séparations qui sont entre les hommes ne sont pas celles qu'on croit, et que celles qu'on croit ne sont pas.
    – Écoute ! interrompit-on soudain.
    On se tait, et on entend au loin le bruit du canon. Là-bas, le grondement ébranle les couches aériennes et cette force lointaine vient déferler faiblement à nos oreilles ensevelies, tandis qu'alentour l'inondation continue à imprégner le sol et à attirer lentement les hauteurs.
    – Ça r'prend…
    Alors l'un de nous dit :
    – Ah ! tout c'qu'on aura contre soi !
    Déjà il y a un malaise, une hésitation, dans la tragédie colloque qui s'ébauche, entre ces parleurs perdus, comme une espèce d'immense chef-d'œuvre de destinée. Ce n'est pas seulement la douleur et le péril, la misère des temps, qu'on voit recommencer interminablement. C'est aussi l'hostilité des choses et des gens contre la vérité, l'accumulation des privilèges, l'ignorance, la surdité et la mauvaise volonté, les partis pris, et les féroces situations acquises, et des masses inébranlables, et des lignes inextricables.
    Et le rêve tâtonnant des pensées se continue par une autre vision où les adversaires éternels sortent de l'ombre du passé et se présentent dans l'ombre orageuse du présent.
    Les voici… Il semble qu'on la voie se silhouetter au ciel sur les crêtes de l'orage qui endeuille le monde, la cavalcade des batailleurs, caracolants et éblouissants – des chevaux de bataille porteurs d'armures, de galons, de panaches, de couronnes et d'épées… Ils roulent, distincts, somptueux, lançant des éclairs, embarrassés d'armes. Cette chevauchée belliqueuse, aux gestes surannés, découpe les nuages plantés dans le ciel comme un farouche décor théâtral.
    Et bien au-dessus des regards enfiévrés qui sont à terre, des corps sur qui s'étage la boue des bas-fonds terrestres et des champs gaspillés, tout cela afflue des quatre coins de l'horizon, et refoule l'infini du ciel et cache les profondeurs bleues.
    Et ils sont légion. Il n'y a pas seulement la caste des guerriers qui hurlent à la guerre et l'adorent, il n'y a pas seulement ceux que l'esclavage universel revêt d'un pouvoir magique ; les puissants héréditaires, debout çà et là par-dessus la prostration du genre humain, qui appuient soudain sur la balance de la justice, parce qu'ils entrevoient un grand coup à faire. Il y a toute une foule consciente et inconsciente qui sert leur effroyable privilège.
    – Il y a, clame en ce moment un des sombres et dramatiques interlocuteurs, en étendant la main comme s'il voyait, il y a ceux qui disent : « Comme ils sont beaux ! »
    – Et ceux qui disent : « Les races se haïssent ! »
    – Et ceux qui disent : « J'engraisse de la guerre, et mon ventre en mûrit ! »
    – Et ceux qui disent : « La guerre a toujours été, donc elle sera toujours ! »
    – Il y a ceux qui disent : « Je ne vois pas plus loin que le bout de mes pieds, et je défends aux autres de le faire ! »
    – Il y a ceux qui disent : « Les enfants viennent au monde avec une culotte rouge ou bleue sur le derrière ! »
    – Il y a, gronda une voix rauque, ceux qui disent : « Baissez la tête, et croyez en Dieu ! »
    Ah ! vous avez raison, pauvres ouvriers innombrables des batailles, vous qui aurez fait toute la grande guerre avec vos mains, toute puissance qui ne sert pas encore à faire le bien, foule terrestre dont chaque face est un monde de douleurs et qui, sous le ciel où de longs nuages noirs se déchirent et s'éploient échevelés comme de mauvais anges, rêvez, courbés sous le joug d'une pensée ! – oui, vous avez raison. Il y a tout cela contre vous. Contre vous et votre grand intérêt général, qui se confond en effet exactement, vous l'avez entrevu, avec la justice il n'y a pas que les brandisseurs de sabres, les profiteurs et les tripoteurs.
    Il n'y a
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