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Le Feu (Journal d'une Escouade)

Le Feu (Journal d'une Escouade)

Titel: Le Feu (Journal d'une Escouade)
Autoren: Henri Barbusse
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font effort pour sortir de l'erreur et de l'ignorance qui les souillent autant que la boue, et qu'ils veulent enfin savoir pourquoi ils sont châtiés.
    – Alors quoi ? clame l'un.
    – Quoi ? répète l'autre, plus grandement encore.
    Le vent fait trembler aux yeux l'étendue inondée et, s'acharnant sur ces masses humaines, couchées ou à genoux, fixes comme des dalles et des stèles, leur arrache des frissons.
    – Il n'y aura plus d'guerre, gronde un soldat, quand il n'y aura plus d'Allemagne.
    – C'est pas ça qu'il faut dire ! crie un autre. C'est pas assez. Y aura plus de guerre quand l'esprit de la guerre sera vaincu !
    Comme le mugissement du vent avait étouffé à moitié ces mots, il érigea sa tête et les répéta.
    – L'Allemagne et le militarisme, hacha précipitamment la rage d'un autre, c'est la même chose. Ils ont voulu la guerre et ils l'avaient préméditée. Ils sont le militarisme.
    – Le militarisme… reprit un soldat.
    – Qu'est-ce que c'est ? demanda-t-on.
    – C'est… c'est la force brutale préparée qui, tout d'un coup, à un moment, s'abat. C'est être des bandits.
    – Oui. Aujourd'hui, le militarisme s'appelle Allemagne.
    – Oui ; mais demain, comme qu'i' s'appellera ?
    – J'sais pas, dit une voix grave, comme celle d'un prophète.
    – Si l'esprit de la guerre n'est pas tué, t'auras des mêlées tout le long des époques.
    – Il faut… il faut.
    – Il faut se battre ! gargouilla la voix rauque d'un corps qui, depuis notre réveil, se pétrifiait dans la boue dévoratrice. Il le faut ! – et le corps se retourna pesamment. – Il faut donner tout ce que nous avons, et nos forces et nos peaux, et nos cœurs, toute not' vie, et les joies qui nous restaient ! L'existence de prisonniers qu'on a, il faut l'accepter des deux mains ! Il faut tout supporter, même l'injustice, dont le règne est venu, et le scandale et la dégoûtation qu'on voit – pour être tout à la guerre, pour vaincre ! Mais, s'il faut faire un sacrifice pareil, ajouta désespérément l'homme informe, en se retournant encore, c'est parce qu'on se bat pour un progrès, non pour un pays ; contre une erreur, non contre un pays.
    – Faut tuer la guerre, dit le premier parleur, faut tuer la guerre, dans le ventre de l'Allemagne !
    – Tout de même, fit un de ceux qui étaient assis là, enraciné comme une espèce de germe, tout de même, on commence à comprendre pourquoi il fallait marcher.
    – Tout de même, marmotta à son tour le chasseur, qui s'était accroupi, y en a qui se battent avec une autre idée que ça dans la tête. J'en ai vu, des jeunes, qui s'foutaient pas mal des idées humanitaires. L'important pour eux, c'est la question nationale, pas aut'chose, et la guerre une affaire de patries : chacun fait reluire la sienne, voilà tout. I's s'battaient, ceux-là, et i's s'battaient bien.
    – I's sont jeunes, ces petits gars qu'tu dis. I's sont jeunes. Faut pardonner.
    – On peut bien faire sans savoir bien c'qu'on fait.
    – C'est vrai qu'les hommes sont fous ! Ça, on l'dira jamais assez !
    – Les chauvins, c'est d'la vermine… ronchonna une ombre.
    Ils répétèrent plusieurs fois, comme pour se guider à tâtons :
    – Faut tuer la guerre. La guerre, elle !
    L'un de nous, celui qui ne bougeait pas la tête, dans l'armature de ses épaules, s'entêta dans son idée :
    – Tout ça, c'est des boniments. Qu'est-ce que ça fait qu'on pense ça ou ça ! Faut être vainqueurs, voilà tout.
    Mais les autres avaient commencé à chercher. Ils voulaient savoir et voir plus loin que le temps présent. Ils palpitaient, essayant d'enfanter en eux-mêmes une lumière de sagesse et de volonté. Des convictions éparses tourbillonnaient dans leurs têtes et il leur sortait des lèvres des fragments confus de croyances.
    – Bien sûr… Oui… Mais faut voir les choses… Mon vieux, faut toujours voir le résultat.
    – L'résultat ! Être vainqueurs dans cette guerre, se buta l'homme-borne, c'est pas un résultat ?
    Ils furent deux à la fois qui répondirent :
    – Non !
    À cet instant, il se produisit un bruit sourd. Des cris jaillirent à la ronde et nous frissonnâmes.
    Tout un pan de glaise s'était détaché du monticule où nous étions vaguement adossés, déterrant complètement, au milieu de nous, un cadavre assis les jambes allongées.
    L'éboulement creva une poche d'eau amassée en haut du monticule et l'eau s'épandit en cascade sur
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