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Le Condottière

Le Condottière

Titel: Le Condottière
Autoren: Max Gallo
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phalanges énormes, m'a-t-il semblé, il m'a dit que mourir, c'était échapper à l'enfer, à cette guerre aveugle où nous sommes tous plongés. Il pensait ainsi parce qu'il côtoyait les mourants, les malades. Il ne s'agissait pas pour lui de me consoler de la disparition de quelqu'un de proche, de si jeune, oui, il le savait. Ma fille. Il partageait. Il priait pour moi. Mais certaines vies sont un calvaire, une chute sans fin que seule la mort peut venir interrompre. Peut-être la mort est-elle un retour à la douceur, au calme d'avant la naissance, une résurrection puisqu'elle efface toute douleur, qu'elle est mise en sommeil, peut-être même en attente. On ne veut plus rien, plus rien ne vous manque. On est au bout. On a fait tout le chemin.
    - Comprenez-vous, cher monsieur?
    La mort est une grâce de Dieu. La part de Dieu. Il nous décharge du fardeau qui nous écrase. Il ferme nos plaies. Il nous protège, nous arrache au malheur, à celui que nous subissons ou, même si nous l'ignorons encore, à celui qui va inévitablement nous frapper.
    _ Je voudrais vous persuader de cela, monsieur, pour votre fille. C'était votre fille, m'a-t-on dit?
    Même pour celui qui ne croit pas, la mort garde ce sens-là : la fin des souffrances, de la peur, de l'errance. Le sommeil après le cauchemar, ou bien le repos qui devance la cruauté du réveil...
    Je me suis dressé si brusquement qu'il a reculé.
    - Vous l'avez vue vivante. Vous venez de me le dire, vous l'avez vue avant!
    Il secouait la tête tout en regardant de part et d'autre de la chambre comme s'il avait cherché de l'aide ou une autre issue que la porte.
    Son air traqué était un aveu.
    Par saccades, comme si elles surgissaient d'une mémoire pareille à une source extérieure mais à laquelle j'avais accès, je visionnais de brèves scènes. Je voyais Ariane devant ce médecin qui la regardait, impassible, tendant vers elle ses mains longues et osseuses...
    J'ai saisi ses poignets, je l'ai contraint à lever ses avant-bras, j'ai gardé ses mains déployées entre nous deux : ces mains-là l'avaient touchée, vivante, puis morte.
    Il a essayé de se dégager. Je n'étais pas dans mon état normal. Je devais me calmer. Il allait appeler si je ne le lâchais pas.
    - Elle vous a parlé, ai-je dit. Je le sais!
    Je me suis appuyé à lui, tenant toujours fermement ses poignets.
    On a ouvert la porte.
    Ferrucci m'a repoussé, s'est libéré.
    La propriétaire se signait, invoquait Dieu. Qu'est-ce qui se passait chez elle, maintenant? Elle allait me faire jeter dehors. Elle ne voulait pas de ça! D'ailleurs, elle allait fermer l'hôtel.
    - Partez, m'a dit Ferrucci. Sinon, vous allez mourir, vous aussi.
    J'ai ricané. La mort, n'était-ce pas la part de Dieu, le salut? Il est aussitôt sorti.
    J'ai entendu la voix aiguë de Mme Antonini résonner dans le couloir : « Je ne veux pas qu'il meure chez moi ! Je ne veux pas de mort dans mon établissement! Pas de mort ici ! »

    4.
    JOËLLE est arrivée de Paris à leur demande.
    — Je suis là, je suis venue, a-t-elle dit.
    Elle passait et repassait devant la fenêtre. Les talons de ses chaussures, en frappant le parquet de la chambre, martelaient ma tête.
    Qu'avais-je à faire avec cette jeune femme dont je reconnaissais à présent le tailleur de soie noire. « Comment le trouves-tu, Jean-Luc, ça me va, tu crois? Pas trop sévère, pas trop triste, ce noir? » m'avait-elle demandé, autrefois, dans l'une de ces boutiques où je l'accompagnais, cherchant un fauteuil pour m'y installer, lire le journal cependant qu'elle vaquait d'un rayon à l'autre, entrait dans la cabine d'essayage, m'interpellait, et, l'apercevant derrière le rideau entrouvert, en soutien-gorge et culotte, j'avais souvent éprouvé du désir et de l'orgueil, une satisfaction de propriétaire qui me faisait replier mon journal, me lever, passer la tête dans la cabine pour montrer que cette femme était avec moi, à moi.
    Dans quelle autre vie avais-je ressenti cela?
    C'était la même jeune femme aux cheveux mi-longs, au pantalon serrant son ventre plat. Le chemisier blanc à col ouvert laissait voir son cou sans une ride, la naissance de ses seins. Mais où était mon émotion? Noyée, perdue.
    Le visage de Joëlle avait cette rude netteté de lignes sécantes que rien n'empâtait.
    On avait bandé le visage d'Ariane et ses joues en paraissaient toutes gonflées.
    Joëlle ne cessait de parler.
    Je me souvenais de cette voix haut perchée, au
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