Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le Condottière

Le Condottière

Titel: Le Condottière
Autoren: Max Gallo
Vom Netzwerk:
malgré tout? Cette pluie, ces quelques silhouettes courant d'une porte à l'autre en quête d'un abri, ce bref coup de sirène du navire qui accostait, dont je distinguais les lettres noires inscrites à sa poupe : L'INNOMATO, Bellagio. « Celui qui n'est pas nommé » : cette appellation étrange pour un bateau ne me surprenait même pas, pas plus que le message qu'au même moment on glissait sous ma porte après avoir frappé, et que je déchiffrai : le docteur Ferrucci, attaché à l'hôtel, souhaitait me rencontrer.
    « Inhumain, Jean-Luc. Tu m'entends? Où es-tu? »
    Le ton de Clémence s'était à nouveau durci. Si je refusais, elle me retrouverait, elle s'adresserait à la police, elle déposerait plainte pour séquestration et pour meurtre - « Tu m'entends, Jean-Luc, je t'accuserai pour meurtre!... Où est-elle, Jean-Luc, où es-tu? »
    J'étais derrière un hublot.
    De cette voix, de cette pluie, de ce lac, de ce navire, des gens que je croisais quand je sortais tête nue sous l'averse, de la propriétaire de l'hôtel qui me servait dans la salle à manger vide, de ce que j'avalais, de la saveur des mets, j'étais séparé par une paroi grise au travers de laquelle je n'entendais, je ne voyais, je ne sentais, je n'éprouvais rien que de manière indistincte et floue.
    Cette paroi m'enveloppait. Parfois, j'étendais la main pour la toucher, mais elle se dérobait et cependant elle était entre moi et les choses, entre mes yeux et le lac, entre mes oreilles et les voix. Mais peut-être était-elle à l'intérieur de moi, comme une autre peau sous ma peau, insinuée dans chaque repli, séparant mes pensées et mes sensations, comme si je n'étais plus uni mais dissocié en autant de fragments qui ne pouvaient plus se rejoindre.
    Je le tentais pourtant, j'espérais y parvenir. Je le voulais de toutes mes forces quand je m'allongeais sur le lit placé en face de la fenêtre et que j'apercevais ce ciel comme un lac renversé où j'aurais voulu me noyer, comme elle.
    Je croisais les mains sur ma poitrine. Peut-être était-ce ainsi qu'on l'avait couchée, mais je n'avais entrevu que son visage bandé derrière le hublot, ses joues gonflées, ce menton prognathe qui lui donnait un air buté, comme si elle avait lancé un défi : « Je suis morte, retrouvez-moi si vous pouvez, si vous l'osez! Je vous ai échappé, je me venge! Qui traversera le lac avec moi? »
    Étendu sur le lit, j'attendais, si immobile que j'en venais tout à coup à étouffer de ne pas avoir respiré.
    Il me semblait que cette paroi en moi, autour de moi, devant son propre visage, allait se briser, que j'allais enfin la rejoindre dans le sommeil, connaître la paix, l'unité, mes pensées et mon corps enfin rassemblés, ma peau recollée. Oui, que je cesserais d'être cet homme auquel on avait lentement arraché l'épiderme.
    Je fermai un instant les yeux. Je dors, je dors, me répétais-je. Mais, brusquement, je me heurtais en pleine course à cette paroi transparente. Ma tête éclatait. J'étais toujours derrière le hublot. Ariane et toutes choses de l'autre côté de la vitre.
    « Réponds-moi, Jean-Luc ! », n'en finissait pas de crier Clémence.
    J'ai raccroché.
    La pluie continuait de tomber dru sur le lac de Côme.

    3.
    - Vous avez besoin de soins, monsieur.
    Le docteur Ferrucci m'avait d'abord interpellé dans la salle à manger de l'hôtel. Il s'était appuyé des deux mains à la table, puis avait chuchoté quelques mots à la propriétaire avant de se tourner vers moi : « Vous êtes en sueur, vous tremblez, on ne peut pas vous laisser comme cela. Mme Antonini a eu raison de me demander de vous rencontrer. »
    Son visage était proche du mien et, en même temps, il me semblait que le docteur Ferrucci se tenait à distance, dans la pénombre, silhouette que je ne parvenais pas à identifier, dont la présence m'inquiétait et dont je cherchais en vain à préciser les traits, sûr de l'avoir déjà entr'aperçue.
    J'ai eu la nausée comme si le parfum des lauriers m'enveloppait de nouveau.
    Je me suis levé en chancelant. Il m'a pris le bras. J'ai senti la pression de ses longs doigts et il m'a semblé qu'ils s'enfonçaient dans ma peau comme des griffes.
    J'ai cherché à me dégager, mais il a resserré son étreinte.
    - Je vous soutiens. Je dois vous examiner, vous n'êtes pas dans un état normal.
    Dans le couloir éclairé d'une simple veilleuse, je voyais devant nous le dos large de Mme Antonini. Elle gesticulait, faisait
Vom Netzwerk:

Weitere Kostenlose Bücher