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Le Condottière

Le Condottière

Titel: Le Condottière
Autoren: Max Gallo
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vaste et j'éprouvai, à le parcourir, une sorte d'euphorie, comme si c'était ma vie nouvelle que je visitais.
    Tout à coup, le chef de chantier, un homme d'une cinquantaine d'années, maigre, le visage barré d'une moustache grise, est sorti de la cuisine.
    Les travaux étaient terminés, me disait-il. Il m'attendait. En examinant la cheminée de l'une des pièces, les ouvriers avaient découvert, sous les briques descellées du foyer, ce livre.
    Il m'avait tendu un petit volume et j'avais aussitôt reconnu l'écriture d'Ariane sur la couverture, dans les marges.
    « C'est peut-être là depuis des années », me précisa l'homme tandis que je lisais: Joachim de Flore. Amour et passion, mystique et espérance.
    Je n'ai plus entendu l'homme qui continuait de me parler.
    Je serrai ce livre qui aurait dû me brûler, alors qu'il n'était qu'un objet inerte et poussiéreux. Je pris conscience que je n'éprouvais rien. La médication radicale du temps qui passe avait fait son effet. Je ne me souvenais de la mort d'Ariane que comme d'un fait divers que j'aurais un peu mieux suivi que d'autres, mais il ne m'appartenait pas plus que ceux que nous racontions dans le journal. Peut-être était-ce pour cette raison que j'avais tenu à ce que le récit de Joan Finchett y fût publié. La mort d'Ariane n'était plus pour moi qu'une histoire à laquelle j'avais été mêlé, il y avait bien longtemps, et moins que Joan, puisque celle-ci avait été la dernière à suivre la piste. C'est pour cela que j'avais pu rédiger la présentation de ses articles sans rien ressentir.
    J'avais fait vider la chambre d'Ariane parce que mon passé était révolu. Je ne souffrais plus, mon souvenir n'était plus qu'une suite de mots que je pouvais dérouler sans émotion. Et remplacer par d'autres.
    Il en allait de même de l'amour que j'avais éprouvé pour Joan.
    Le temps m'avait guéri, j'étais mort à mon passé.
    J'ai eu froid. J'ai tremblé. J'ai eu peur. Mais je ne souffrais plus, et c'est cette absence de douleur, cette incapacité où j'étais d'éprouver à nouveau du remords, un vrai désespoir, le moindre sentiment de culpabilité, alors que je tenais ce livre acheté, caché par Ariane, qui me bouleversaient.
    Une part de moi, qui avait si longtemps été la plus importante, avait disparu. Mes émotions passées, Ariane, donc sa mère, Clémence, donc Joëlle, et Joan, et ma souffrance dans la chambre de la clinique, quand on avait été contraint de m'attacher aux montants du lit, tout était englouti. L'eau était à nouveau calme.
    Je ne parvenais même plus à recomposer le visage d'Ariane.
    Qu'est-ce donc qui avait existé pour moi, puisque je n'éprouvais plus aucun tourment, que je pouvais feuilleter ce livre avec une curiosité étonnée, une indifférence qui m'effrayait?
    C'était comme si, au fur et à mesure que j'avais avancé dans ma vie, tout ce qui se dressait auparavant, ces lieux où j'avais vécu, ces êtres que j'avais aimés, s'était effondré et réduit en cendres.
    Je retournais dans mes mains un livre-vestige dont je ne comprenais plus le sens.
    J'habitais un appartement remis à neuf, aux murs blancs, immaculés.

    50.
    ARIANE avait lu ce livre et j'essayais de me souvenir. Mais la pièce où je me trouvais, sa chambre, était vide.
    Je m'étais assis à même le parquet, dans un coin opposé à la cheminée. Je tentais d'imaginer Ariane agenouillée, soulevant les briques du foyer, prenant ce livre qu'elle y avait dissimulé, lisant la nuit, ces phrases dont je m'étonnais qu'elle les eût soulignées: Quand viendra l'Esprit, Il vous conduira vers la vérité toute entière, Il vous annoncera les choses à venir.
    J'avais vécu à quelques mètres d'elle. Je l'avais vue naître, le visage rouge, couvert de glaires - de cela, je gardais des images précises -, le cou serré par le cordon ombilical que le médecin s'était hâté de sectionner. Puis il l'avait soulevée en la tenant par les chevilles. Il avait ri au moment où elle avait crié et il me l'avait présentée: « Grande, avait-il dit, belle fille, quatre kilos au moins, félicitations. »
    Il l'avait posée sur le ventre de Clémence qui avait longuement soupiré et dit: « Jean-Luc, maintenant, c'est à toi. »
    Chaque matin, durant des années, j'avais pressé un jus d'orange pour Ariane.
    Je l'avais habillée, accompagnée en bavardant joyeusement avec elle jusqu'à l'entrée de l'école. Et j'attendais avant de m'éloigner qu'elle eût
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