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Le Condottière

Le Condottière

Titel: Le Condottière
Autoren: Max Gallo
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tout ce qui était arrivé à ma fille.
    Mais il allait délibérément intervenir afin de me débusquer, « de briser les mots, mon cher, pour que vous atteigniez le coeur».
    Une vie n'a qu'un propriétaire, et même celui qui veut y pénétrer par effraction est pris au piège, ajouta-t-il avant de citer les vers du poète Heinrich Mann: Qu'avons-nous à espérer, venant au monde?
    Rien qui ne soit dans notre sang, Rien du dehors, tout en nous.
    Ainsi Boullier, chaque fois que je commençais à parler de ceux qu'il appelait « les autres » - Ariane, Joan, Clémence ou Joëlle - employait à dessein un ton méprisant comme s'il voulait me faire comprendre que je ne devais plus me complaire à évoquer ni ma fille ni ces femmes, que c'était moi et moi seul, mon histoire, mon enfance qui expliquaient tout, non celles des autres, tout aussi repliées sur elles-mêmes que je l'étais, car telle était la loi de la vie qu'on ne sort pas de son corps - « Rien qui ne soit dans notre sang, répétait-il, rien du dehors, tout en nous. »
    Boullier me forçait donc à rentrer en moi.
    Était-ce cela, le prix de la guérison?
    - Revenez à vous, disait-il encore.
    Je n'étais, à l'entendre, qu'au milieu de ma vie. Ayant acquis une expérience, une densité, la partie la plus riche de mon destin s'ouvrait devant moi.
    - Quarante-six ans, Duguet, mais c'est le commencement! Dégagez-vous de la vieille peau. Il va falloir vivre, mon cher, en homme libre, vivre vraiment! C'est un défi. Relevez-le. Ne cherchez pas à recommencer. Vous commencez. Vous êtes neuf, Duguet, un nouveau-né!
    Il riait en me raccompagnant.
    Était-ce l'effet de ses propos ou, comme je le croyais, le résultat de ma propre détermination? J'allais mieux. J'intervenais à nouveau avec autorité dans les conférences de rédaction de Continental, j'imposais mes sujets, mes titres pour la page une. On m'appelait à chaque instant pour me consulter. Le journal, me disait-on, avait retrouvé un patron. « Vous nous manquiez », m'assurait-on. Bedaiev, Arnaud ne faisaient pas le poids. « Tout le monde vous attendait, nous savions que vous alliez sortir de cette mauvaise passe. Abandonner, capituler, ça ne vous ressemblait pas. »
    J'écoutais. J'acceptais les éloges. Le portrait qu'on traçait de moi - un homme énergique, volontaire, courageux - me convenait. Je m'imaginais sous les traits d'un homme capable d'assumer son destin, d'accepter le malheur, vivant avec lui, le dominant. Je faisais front en soldat. Belle image de moi qui me flattait.
    J'ai même choisi de faire repeindre entièrement l'appartement de la rue de Sèvres: murs blancs partout. J'ai fait vider la chambre d'Ariane - une décision courageuse, n'est-ce pas, qui ne changeait rien à mon attitude, proclamai-je!
    Le souvenir, ainsi que je le prétendais, n'était pas affaire d'objets, mais de douleur, de présence en moi, par la souffrance, précisément, de celle qui avait disparu. Et je me persuadais qu'il en allait bien ainsi.
    N'étais-je pas capable, en toute occasion, de parler d'Ariane? Si le docteur Boullier m'y avait autorisé, j'aurais pu, à chaque séance, évoquer un épisode de son enfance : la route au bord de la rivière où je lui avais appris à faire de la bicyclette, les quelques mots que nous échangions, chaque matin, dans la cuisine, et son visage entouré de bandelettes, dans le cercueil posé sur des chevalets, au fond du hangar aux embarcations de Dongo.
    Soyons impitoyable: il m'est même arrivé de me rendre compte que le récit de sa mort émouvait les jeunes femmes. Un père qui a connu le malheur de perdre sa fille et qui s'accuse, avec les mots qu'il faut, d'être responsable de son suicide - mais partiellement coupable, car il faut bien que la mère, les autres femmes, Clémence, Joëlle, soient un peu sorcières -, séduit.
    Quand Joan m'ayant laissé, je me suis retrouvé seul, j'ai quelquefois interprété ce registre-là avec succès.
    Puis, un soir, rentrant chez moi, j'ai trouvé la porte de l'appartement ouverte.
    L'entrée était envahie par une odeur entêtante de peinture fraîche. L'éclairage des spots que j'avais fait installer donnait au couloir, blanc comme le reste de l'appartement, une apparence de coursive. J'ai ouvert les portes des chambres et j'ai eu l'impression de découvrir des pièces où je n'avais jamais vécu. Les parquets et les meubles étaient cirés. On avait emporté les piles de livres. L'appartement me paraissait plus
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