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Le Condottière

Le Condottière

Titel: Le Condottière
Autoren: Max Gallo
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pouvait faire sans se tromper le récit de sa vie, cette succession de rencontres, en effet, de Makoub à Roy, de Franz Leiburg à Morandi, peut-être à Orlando, chacun de ces hommes l'entraînant à sa suite, se servant d'elle - Makoub, le pauvre Makoub se révélant tout aussi responsable qu'un Leiburg ou un Morandi.
    Elle ne croyait plus à la culpabilité de ce dernier. Le docteur Ferrucci avait sans doute raison de penser qu'Ariane était morte d'un arrêt cardiaque, mais peut-être n'était-elle pas tombée seule dans le lac, peut-être était-elle morte Villa Bardi et avait-on caché son corps en attendant la nuit, l'enfouissant dans le coffre d'une voiture qu'Orlando avait conduite jusqu'à quelques kilomètres de Dongo, là où la route surplombe la berge. Il pensait aller plus loin, mais les éboulements avaient dû le contraindre à s'arrêter. Il avait alors jeté le corps, imaginant que les poissons de berge, ces nettoyeurs, allaient le déchiqueter, l'entraîner vers les fonds sableux.
    Angelo Trovato avait dit à Joan: « Le lac est une grande fosse. »
    Qu'avait-il vu au juste?
    Il lui avait répété en secouant la tête qu'il avait dragué là par hasard, qu'il aurait pu commencer ailleurs. Elle le croyait, non? Mais il avait semblé à Joan qu'avec ses yeux, il l'exhortait à ne point le croire. Qu'il lui faisait comprendre qu'il avait surpris ceux qui s'étaient débarrassés du corps d'Ariane Duguet par cette nuit d'averse et de grand vent.
    - Vous ne savez rien?
    - A quoi ça sert de savoir? avait-il répondu.
    Puis il n'avait plus parlé, regagnant d'un pas lourd le hangar où il couchait et où Joan avait renoncé à le suivre.
    Elle avait retrouvé Mario Grassi à Parme. Elle avait vu Roberto Cocci, d'abord en tête à tête dans son bureau du Palazzo Ducale, puis elle avait dîné avec lui et Mario dans un restaurant de la Piazza del Duomo, et tandis qu'ils se dirigeaient vers la Piazza della Pace pour finir la soirée dans un café à la mode, cet Africain l'avait abordée, lui rappelant Makoub, le hasard des rencontres, au milieu de cette place dont les pierres grises exprimaient une histoire si différente de celle du continent d'où lui-même venait. «Mille lire, prego, mille lire per un caffè!»
    Comme Makoub qui avait interpellé Ariane Duguet, rue de Sèvres, parce qu'elle était, avait-il dit, belle et altière et portait un signe, une sorte de lumière au-dessus d'elle, comme une fille de roi.
    En cette fin de siècle, les hommes et les femmes étaient ainsi jetés en vrac comme des billes roulant en tous sens sur le sol; certaines se frôlaient, d'autres se heurtaient, quelques-unes se perdaient dans l'eau du lac.
    A un moment donné, tout en continuant de parler avec Roberto Cocci, Grassi avait tenté de prendre le bras de Joan. Elle avait refusé avec brusquerie, s'écartant même, marchant loin d'eux dont les voix résonnaient sur la place déserte que les ombres du Baptistère et du Duomo divisaient en surfaces obscures et plus claires. Elle était à Parme. Elle se le répétait pour s'en convaincre, se souvenant de l'héroïne de La Chartreuse dont Grassi, depuis qu'ils s'aimaient, lui avait si souvent parlé, Clélia Conti la passionnée, l'intègre, l'absolue, Clélia au « pauvre coeur malade », Clélia qui « se figura qu'elle était frappée par une juste punition »... Peut-être Ariane Duguet, comme Clélia, était-elle morte de ce sentiment de culpabilité, mais elle n'avait même pas eu « la douceur de mourir dans les bras d'un ami ». Stendhal s'était montré plus généreux que la vie.
    Parfois, Joan était contrainte d'entendre Grassi et Cocci qui parlaient fort. Peut-être l'Italie, disaient-ils, était-elle pour la première fois de son histoire au seuil de l'âge démocratique; peut-être les Italiens allaient-ils parvenir à se débarrasser de cette culture noire, celle de la ContreRéforme, faite d'intrigues, de corruption, d'hypocrisie; peut-être l'ombre des confessionnaux allait-elle se dissiper et retrouverait-on ici la vertu civique ou la foi franciscaine. Grassi et Cocci riaient de leur propre emphase, et, comme des étudiants, se donnaient des bourrades après leurs envolées. Puis ils redevenaient graves, leurs têtes penchées. L'Italie n'échapperait jamais, disaient-ils, à Morandi et à ses pareils. La peur, l'hypocrisie, la mesquinerie et l'égoïsme, la corruption, la bêtise, ajoutait Grassi, l'arrogance murmurait Cocci, l'empêcheraient
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