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Le chat botté

Le chat botté

Titel: Le chat botté
Autoren: Patrick Rambaud
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justice, des déserteurs allemands, des voyous venus des Antilles pour dépouiller, violer et noyer des femmes nues dans la Loire. Ses fidèles? Le tailleur Héron qui gardait dans ses poches des poignées d’oreilles tranchées, ou l’adjudant Richard qui serrait dans une grande armoire les bijoux de ses victimes.
    — Robespierre mort, dit Saint-Aubin, il reste encore bien des égorgeurs à égorger. Je m’en charge.

CHAPITRE PREMIER
    Avoir vingt ans en 1795
    Un groupe serré de jeunes gens marchait rue des Lombards, frappant le sol de ces gourdins plombés qu’ils avaient baptisés rosse-coquins. Coiffeurs, fils de négociants, commis parfumeurs ou garçons perruquiers, poètes, danseurs, fonctionnaires que réunissaient à Paris leurs vingt ans et une forte aversion des abus républicains, ils portaient des vêtements extravagants pour se démarquer du débraillé obligatoire voulu par la Révolution ; voyez leurs habits étriqués, vert bouteille ou couleur de crottin, aux basques carrées, taillées en queue de morue, voyez ces culottes moulantes, ces cravates de mousseline montées en tortillon jusqu’aux lèvres qui les faisaient ressembler de loin, disait-on, à des gros saucissons de Bologne. Ils se blanchissaient la peau à la pâte d’amandes, et comme ils s’aspergeaient de musc on les surnommait les muscadins.
    L'un d’eux arrêta la troupe devant les marches de l’église Saint-Roch. Il avait les cheveux tressés en cadenettes, un bicorne en demi-lune posé à la tapageuse sur le sommet du crâne. Il ôta ses bésicles pour consulter le journal qu’il avait tiré de son gilet :
    — C'est bien ici, Messieurs, impasse de la Convention ci-devant du Dauphin...
    — Nous allons souiller nos escarpins, mon cher Saint-Aubin. L'endroit est ignoblement sale.
    — Quand on chasse les rats, Davenne, on descend les débusquer dans l’égout.
    — Saint-Aubin a raison, nous avons juré de corriger la jacobinaille, dit un sentencieux en bombant le torse pour mieux montrer les dix-sept boutons de nacre de son habit qui évoquaient l’orphelin prisonnier du Temple, le petit Louis XVII.
    — Ce Dupertois habite ici, à l’hôtel Mirabeau, écoutez ce qu’en dit Fréron : « Il tannait la peau des guillotinés pour en faire des bottes » !
    — Pouah...
    — Allons lui tanner les fesses! cria Dussault, le véritable auteur de l’article, un publiciste inventif qui écrivait aussi les discours de Fréron, leur protecteur.
    Ils rangèrent les lorgnons qu’ils portaient tous pour ne pas les casser pendant l’expédition, mais ils n’en avaient aucun besoin, l’objet ne servait qu’à leur donner une apparente infirmité: elle leur permettait d’échapper au recrutement; les chouans de Bretagne et les Vendéens se soulevaient à nouveau au nom du roi et il n’était pas question de leur tirer dessus déguisés en soldats. Ils regardaient les trois étages enfumés de l’hôtel Mirabeau, et l’allée étroite, ouverte entre la boutique d’un perruquier et celle d’un rôtisseur :
    — Horreur ! grimaçait Dussault, nous allons sentir la graisse!
    Ils entrèrent dans l’immeuble en sautillant pour éviter une rigole d’eaux stagnantes, se retrouvèrent dans une cour occupée par un puits et un escalier à vis.
    — Vous cherchez ?
    Un gros joufflu aux yeux encapotés et à la voix traînarde les interpellait de sa fenêtre, ouverte au rez-de-chaussée.
    — La chambre du citoyen Dupertois, dit Saint-Aubin.
    — Vous lui voulez quoi, mes p’tits messieurs ?
    — Nous venons juste le cabosser un peu.
    — Et toi, curieux, qui es-tu ? demanda Dussault en lui plaçant le pommeau de son gourdin dans le gras du menton.
    — C'est moi que j’suis l’logeur.
    — Et encore ?
    — Mon ami te demande ton nom, bougre d’âne !
    — Rouget. Avant j’étais aide de cuisine chez Monseigneur le prince de Conti...
    — Tu n’as pas honte d’héberger des jacobins dangereux ?
    — Faut vivre, hein ?
    — On ne peut pas pleurer sur ton sort, tu es trop rondouillard pour sauter un repas, pas vrai ?
    — Oh, à six francs par mois la chambre...
    — Tu ne connais pas le passé de tes locataires ? fit mine de s’étonner Saint-Aubin.
    — Ce brave homme a raison, reprit Dussault en giflant le logeur. Le registre des meublés est moins bien tenu que celui de la Morgue.
    — Soit, mais tu connais le présent de Dupertois, si tu ignores son passé. Dis-nous où il se niche.
    — Là...
    Le joufflu indiqua une
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