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Le chat botté

Le chat botté

Titel: Le chat botté
Autoren: Patrick Rambaud
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l’air? répondit Saint-Aubin d’un ton pincé.
    — Oh oui, tu en as l’air.
    — J’ai faim.
    — Tu m’as dit travailler pour un notaire, il ne te paie donc pas ?
    — Quand il peut.
    — Il ne peut plus ?
    — Là où il est, non.
    — Il a été arrêté, c’est ça ?
    — En arrivant un matin à l’étude, je n’ai pas pu rentrer : il y avait des scellés sur la porte. Il avait été emmené dans une maison d’arrêt.
    Sous la Terreur, les notaires avaient une réputation détestable auprès des Comités. Ne se mêlaient-ils pas d’héritage, ce fondement de la richesse bourgeoise ? Ne leur confiait-on pas de l’argent à garder en lieu sûr, quelquefois des fortunes? N’étaient-ils pas les dépositaires des secrets de famille? En politique, n’avaient-ils pas eu le malheur de rester neutres? La plupart des notaires parisiens étaient donc en prison. Saint-Aubin, mis en confiance par son gros compagnon qu’il jugeait débonnaire, lui avoua :
    — Depuis, je n’ai mangé que des épluchures, et j’ai bu l’eau de la Seine.
    Delormel lui offrit pour trois sous une assiette de harengs grillés, arrosés de vinaigre et parsemés de ciboule, que le jeune homme avala sans se soucier des arêtes. Plus tard, dans une taverne, Delormel offrit du vin. Saint-Aubin lui raconta son histoire. Une bande de forcenés avait assailli son père et sa famille dans leur maison de Nantes; la force publique avait fait cause commune avec les émeutiers :
    — Trahi par la garde nationale, mon père a dû abandonner notre maison au pillage, et il a fui avec ma mère, mes sœurs, mes deux jeunes frères, avec des amis, des voisins... J’étais à Paris... Ils ont été arrêtés sur la route. Un enragé s’en est pris à mon père, il lui a ouvert le ventre d’un coup de sabre, il a fouillé ses entrailles avec ses mains pour en extirper le cœur qu’il a fiché au bout d’une pique. Ce n’est pas tout, Monsieur. Une fille publique qui suivait cette bande a pris le cœur tout saignant et l’a déposé dans un vase qu’elle a rempli de vin. Elle a bu la première...
    Delormel n’osa plus poser une question et Saint-Aubin n’avait plus envie de s’expliquer; il était blême, tremblait. Le député se leva, posa sa grosse patte sur l’épaule du jeune homme :
    — Viens avec moi, nous allons voir passer l’ogre devant sa maison.
    Ils marchèrent jusqu’à la rue Saint-Honoré, montèrent à l’étage d’un immeuble qui faisait face à celui du menuisier Duplay, près d’un couvent transformé en écuries. Delormel savait le parcours des charrettes qui allaient emmener Robespierre et ses complices à l’échafaud, cela se répétait d’ailleurs dans la ville; dès trois heures de l’après-midi, les riverains proposaient de louer leurs fenêtres pour un tarif en augmentation permanente. Delormel avait payé cher une bonne place, avec une vue plongeante sur la rue. Ils attendirent pendant des heures, chacun dans ses pensées. La foule grossissait; des hommes, des femmes, des enfants se pressaient à toutes les fenêtres et même sur les toits. Enfin on entendit des applaudissements et des cris; le cortège fatal avançait avec lenteur, les tombereaux s’arrêtaient souvent, retenus par des citoyens : ils voulaient dévisager ces bêtes féroces qui les avaient gouvernés.
    — Les voilà, dit Delormel à Saint-Aubin qui se raidissait.
    Ils arrivaient en effet, pitoyables, attachés à leurs banquettes. Robespierre avait la tête enveloppée d’un bonnet, la mâchoire bâillonnée par des pansements, la chemise tachée. Quand il se trouva à la hauteur de la maison Duplay, un gamin trempa son balai dans un seau de sang de bœuf et en barbouilla les volets clos. Les huées redoublèrent :
    — A bas le tyran ! hurla un meneur.
    — A bas le tyran ! reprenait la foule.
    Comme la charrette continuait sa route au pas vers la place de la Révolution, embarrassée par la multitude, Saint-Aubin, penché au rebord de la fenêtre, dit à Delormel d’une voix éraillée :
    — Vous voyez celui qui gueule le plus fort ?
    — Le petit en veste verte...
    — Vous ne le connaissez pas ?
    — Je ne connais pas tout le monde à Paris.
    — Eh bien tout le monde le connaît à Nantes.
    — Son nom ?
    — Carrier.
    — Ah oui...
    C'était le bourreau de Nantes, sans doute l’assassin des parents Saint-Aubin, pensait Delormel. Là-bas, Carrier avait sous ses ordres une compagnie de tueurs professionnels, des repris de
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