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Le chat botté

Le chat botté

Titel: Le chat botté
Autoren: Patrick Rambaud
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Delormel marchait vers l’autre extrémité du château. Le Comité de salut public s’y était installé à son aise dans les anciens appartements royaux. Aux abords, dans les jardins, les nombreux corps de garde ressemblaient à des villages de planches. Les sentinelles étaient toujours en mouvement et des canons, mèches allumées jour et nuit, avaient été placés aux portes intérieures. Pas de promeneurs, aucun indiscret sous les fenêtres du Comité qui gouvernait la France; Delormel était attendu : les fusiliers de la garde nationale, aux uniformes en lambeaux, avaient été prévenus par le soprano qui servait de secrétaire. Delormel entra en habitué dans un long corridor mal éclairé aux deux bouts par des lampes faiblardes, déboucha dans les salons du rez-de-chaussée. Sur des tapis de la Savonnerie riches et moelleux s’entassait un butin, objets en tous genres saisis pendant les arrestations, des pendules en or, des fauteuils, des glaces gigantesques, des bronzes, des candélabres. Les paquets non encore ouverts montaient contre les parois des couloirs, envahissaient les salles. Sous les quinquets blancs de la chambre aux colonnes, le député trouva les tombeurs de Robespierre; autour de la grande table ovale chargée de papiers, ils terminaient un mouton rôti et un chapon au gros sel en buvant du bourgogne.
    — Tout va mal ! dit un Delormel bouleversé.
    — Citoyen représentant, raconte-nous dans le détail ce qui t’affole.
    Barras se leva, le verre à la main. Il avait une grande taille, l’accent de sa Provence et les manières du gentilhomme qu’il était, une perruque poudrée qui bouclait aux épaules, le regard blasé d’un aventurier de quarante ans. Séducteur par nature, ferme par nécessité, il ne se laissait jamais démonter par les événements parce qu’il avait beaucoup vécu. Il finit son verre, très calme.
    — Le concierge de la prison du Luxembourg n’a pas voulu de Robespierre, dit Delormel d’une voix lamentable.
    — Le gaillard fait peur, cette peur nous a servis à la Convention, elle risque de nous desservir dans la rue...
    — Justement ! Comme on le tenait prisonnier au Palais de Justice, la section des Amis de la Patrie l’a délivré.
    — Alors il est libre, soupira Barras.
    — Libre mais hors la loi, précisa le mélancolique Fréron en se servant une liqueur.
    — Citoyens, poursuivait Delormel, le tyran s’est enfermé à l’Hôtel de ville. Vous avez entendu les tambours? Et le tocsin? La place de Grève est devenue un camp militaire qui déborde sur les ponts et sur les rives. Et les ouvriers ont des canons.
    — Cette nuit, ce sera lui ou nous, dit une voix glaçante.
    Billaud-Varenne venait de parler. Delormel ne l’avait pas vu parce qu’il était dans un coin de la pièce, étendu sur un matelas. Lui aussi effrayait et la crinière jaune de sa perruque ne faisait plus rire personne. C'était un homme sans émotions et sans désirs, un auteur de vaudevilles sifflés changé en buveur de sang. Il regagna la table du Comité :
    — Il faut agir. Rassemblons nos bataillons de la garde nationale, les bourgeois, les artisans de la section des Piques, celle des Filles-Saint-Thomas, celle de la Butte-des-Moulins...
    — Et si la Convention faisait retraite?
    — Où diable ?
    — A Meudon...
    — Grotesque !
    — Serons-nous assez nombreux? gémissait Delormel.
    — Oui, affirmait Barras. Je vais envoyer des députés dans tout Paris, ils liront le décret qui proscrit Robespierre et réveilleront nos sectionnaires, mais il y a une chose que je ne comprends pas... Ses hordes, pourquoi Robespierre ne les lance-t-il pas sur la Convention? Il sait le château mal défendu par des invalides sans discipline et une poignée de Marseillais...
    L'Hôtel de ville était illuminé par un cordon de lampions qui courait sur la corniche de l’étage. A l’intérieur, dans la salle de l’Egalité, une cinquantaine d’hommes causaient debout. Robespierre était à une table éclairée de candélabres. Pensif, il avait repoussé son fauteuil en arrière, croisé les jambes, mis un coude sur les genoux et appuyé son menton dans sa main. Il détestait cette situation. Il ne voulait pas que ses partisans le libèrent, il voulait se défendre devant le Tribunal et être acquitté, porté en triomphe comme Marat : les jacobins, la Commune, les Parisiens l’auraient soutenu... A une heure du matin Couthon arriva par le grand escalier; le gendarme Muron le
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