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Le chat botté

Le chat botté

Titel: Le chat botté
Autoren: Patrick Rambaud
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savon d’Alicante, de la poudre d’éponge calcinée, un sachet de cendres d’un scrofuleux récemment décédé, l’ensemble lié avec un sirop de racines.
    La cérémonie du lever ne variait jamais.
    Après les soins, le docteur aidait à enfiler les bas de soie qui cachaient et maintenaient les bandages, puis Robespierre, en chemise et peignoir devant la minuscule glace de sa cheminée, ajustait sa perruque blanche (très jeune, déjà, quand il était élève de rhétorique à Louis-le-Grand, il prenait un soin maniaque de ses perruques et de ses gilets). Avec une houppe il se couvrait de poudre, en mettait partout avant de se racler le visage au couteau. Ensuite, cuvette en main, il se lavait les dents et crachait par terre. Enfin il mettait sa culotte de nankin et son habit bleu ciel.
    Sa popularité croissait dans le peuple depuis qu’une jeune fille, au printemps, avait voulu le poignarder. Il recevait de la France entière des lettres qui saluaient sa gloire, des lettres d’amour, des lettres de menaces. Ces papiers débordaient en vrac sur ses étagères de sapin et le dos de sa malle noire. En revanche il rangeait dans des cartons en tas les suppliques ou les rapports de ses mouchards. Robespierre se défiait de ses collègues du Comité de salut public; il reportait leurs propos compromettants, datés, dans un calepin qui ne le quittait plus.
    Robespierre chaussa ses lunettes vertes pour masquer et protéger ses yeux malades ; il regarda par la fenêtre. Dans la cour, le médecin croisait en s’en allant l’un de ses espions. Il allait monter, celui-là, cogner à la porte, livrer les dernières informations sur le climat de la Convention et des Comités. La veille, Robespierre avait parlé deux heures à la tribune devant une assemblée veule qu’il savait hostile. Il voulait se défaire des corrompus et des sanguinaires, en finir avec la Terreur et les guerres extérieures. En vérité, il voulait la paix.
    Planté devant la porte qu’il avait refermée, l’agent Guérin tournait son bicorne à deux mains.
    — Je t’écoute, lui dit Robespierre.
    — Les conjurés se sont réunis chez Doyen, le traiteur des Champs-Elysées.
    — Leur projet?
    — Que la Convention te déclare hors la loi.
    — Les noms des scélérats ?
    — Barras, Fréron...
    — Mitrailleurs de Toulon ! pilleurs d’églises !
    — Tallien...
    — Trafiquant de subsistances et de passeports! Profiteur ! Et ce rat de Fouché?
    — Il n’était pas avec eux.
    — Où est-il ?
    — Partout.
    — Que fait-il ?
    — Il rallie contre toi les députés.
    — Comment ?
    — En les effrayant. Il les a vus l’un après l’autre pour leur assurer qu’ils figurent sur ta liste de proscription.
    — Hier j’aurais dû livrer des noms pour apaiser ces pleutres!
    Robespierre devait retourner à la Convention. Il partit aussitôt vers les Tuileries, escorté de coupe-jarrets aux pantalons de grosse toile rouge, armés de gourdins, que le fils Duplay avait recrutés dans les bureaux du ministère de la Justice. En quittant cette chambre qu’il ne reverrait plus, il laissait quarante-six francs dans le tiroir de sa table et un exemplaire du Contrat social ouvert au chapitre 10 du livre 2; Rousseau y écrivait à propos de la Corse : « J’ai quelque pressentiment qu’un jour cette île étonnera l’Europe. »
    A la grande époque, après l’exécution du roi, une population de boutiquiers occupait le grand vestibule des Tuileries, aussi large que le château : il y avait un tabac, une pâtisserie, un salon de coiffure, une mercerie, un marchand d’estampes républicaines et même un malin qui avait demandé l’autorisation de mendier, mais ces mercantis avaient aujourd’hui disparu. L'heure était grave. Depuis l’aube des conciliabules se tenaient par groupes. Manipulés par l’envoyé de Barras, Fouché, les représentants des royalistes, des modérés et des jacobins les plus outrés partageaient leurs peurs avec leur haine de Robespierre. Ils redoutaient la guillotine si ce dernier l’emportait tout à l’heure à la tribune. Un aristo à vieille perruque noire, en houppelande malgré la chaleur, trépignait :
    — Il faut l’empêcher de nous nuire!
    — Si on met sa condamnation aux voix, il perd, disait un grand député aux cheveux coupés en rond comme les anciens Grecs.
    — Mais Collot d’Herbois va présider la séance !
    — Et alors ? demandait un autre.
    — Tu as perdu la mémoire ?
    — Pourquoi ?
    —
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