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Le Bal Des Maudits - T 2

Le Bal Des Maudits - T 2

Titel: Le Bal Des Maudits - T 2
Autoren: Irwin Shaw
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Ceux qui se trouveront à l’arrière, répéta Heims.
    Il remua légèrement la mitrailleuse sur son pivot et, pensif, introduisit son ongle entre deux de ses dents.
    –  Vous voulez qu’ils courent en avant, pas dans la direction de laquelle ils seront venus…
    Christian approuva.
    –  Ils ne vont pas courir sur le pont, où ils seraient à découvert, continua Heims. Ils vont courir dans le ravin, sous le pont, pour se mettre à couvert.
    Christian sourit. Il avait eu tort de douter de Heims. Ce gaillard-là savait parfaitement ce qu’il était en train de faire.
    –  Et ils vont se jeter sur les mines qui sont au fond du ravin, acheva Heims. Je vois.
    Lui et Richter échangèrent un hochement de tête. Ni approbateur, ni désapprobateur. Leurs visages n’exprimaient rien.
    Christian ôta sa veste, afin d’être prêt à adresser à Dohn le signal convenu, dès qu’il apercevrait les Américains. Puis il s’assit sur une pierre, derrière Heims allongé près de sa mitrailleuse. Richter, sur un genou, attendait, prêt à faire suivre les bandes de cartouches. Christian leva les jumelles qu’il avait prises, la veille, sur le corps du lieutenant, les pointa vers la faille, entre les collines, et les régla soigneusement. C’étaient d’excellentes jumelles.
    Il y avait deux peupliers, vert foncé et funéraires, de part et d’autre du morceau de route visible entre les collines. Leurs feuillages oscillaient doucement dans le vent.
    Il faisait froid, sur ce versant directement exposé à la bise. Christian regretta d’avoir dit à Dohn qu’il agiterait sa veste. Il aurait préféré l’avoir sur les épaules, actuellement. Un mouchoir aurait probablement fait aussi bien l’affaire. Il sentait sa peau se contracter, sous l’action du froid, et il raidit ses muscles, pour s’empêcher de trembler.
    –  Peut-on fumer sergent ? demanda Richter.
    –  Non, dit Christian, sans baisser ses jumelles.
    Aucun des deux hommes ne protesta. « Ces cigarettes ! pensa Christian. Je parie qu’il en a un paquet entier, deux, peut-être. S’il se fait tuer dans cette bagarre, il faudra que je pense à fouiller ses poches. »
    Ils attendirent. Le vent de la vallée glaçait les oreilles de Christian et, par ses narines, remontait jusqu’à l’intérieur de ses sinus. Sa tête lui faisait mal, surtout autour des yeux. Il avait sommeil. Il y avait trois ans qu’il avait sommeil.
    Heims remua, à plat ventre sur le roc, juste en face de Christian, qui posa un instant ses jumelles. Le fond du pantalon de Heims lui faisait face, noir de boue, grossièrement rapiécé, informe et invraisemblablement large. « C’est un spectacle », pensa Christian, en réprimant à grand-peine un éclat de rire nerveux, c’est un spectacle qui manque totalement de beauté. Oh ! la grâce tant vantée de la silhouette humaine…
    Son front brûlait. La malaria. Ce n’était pas assez des Anglais, des Français, des Polonais, des Américains et des Russes, même les moustiques étaient contre lui. « Peut-être, pensa-t-il fiévreusement, peut-être quand tout ça sera fini vais-je avoir une véritable attaque, une attaque dont ils ne pourront pas nier la gravité et qui les obligera à me renvoyer à l’arrière. » Il reprit les jumelles, les appliqua sur ses yeux, attendant les frissons glacés, invitant les toxines à s’emparer de son organisme.
    Puis il vit les petites silhouettes boueuses, entre les peupliers, et dit « Chut ! » comme si les Américains eussent pu entendre Heims ou Richter s’ils avaient éprouvé le besoin de parler.
    Les petites silhouettes couleur de boue avançaient lentement, comme n’importe quel peloton de n’importe quelle armée. Même à cette distance, leur lassitude était parfaitement visible. Ils passèrent en deux lignes parallèles, une de chaque côté de la route, dans le champ de vision des jumelles, et Christian les compta à mesure. Trente-sept, trente-huit, quarante-deux, quarante-trois. Puis ils disparurent. Les peupliers continuèrent à osciller, comme si rien ne s’était passé. Christian reposa ses jumelles. Il était très calme, à présent, parfaitement lucide et bien éveillé.
    Il se redressa, fit décrire à sa veste deux ou trois larges cercles. Il pouvait imaginer les Américains avançant prudemment, de l’autre côté de la colline, les yeux aux aguets, hantés par la crainte des mines.
    Un moment plus tard, il vit Dohn surgir de sous le pont
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