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La Sibylle De La Révolution

La Sibylle De La Révolution

Titel: La Sibylle De La Révolution
Autoren: Nicolas Bouchard
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temps
est-elle incarcérée ? demanda le jeune homme.
    L’autre réfléchit :
    — Ma foi, cela doit bien faire
plus de six mois.
    — Comment cela se peut-il ?
Les condamnés ne restent jamais si longtemps en vie !
    — Tout dépend de leur fortune,
ricana le gendarme.
    — Le Comité surveille pourtant
de tels abus.
    Le sergent, goguenard, continua
comme s’il s’agissait d’une vieille plaisanterie :
    — Certes, au début on laissait
les ordres de mise à mort de certains au bas de la pile. Mais le Comité a eu
vent de la chose et a ordonné que toutes les semaines on la retourne. Ce que
nous faisons consciencieusement, tu penses bien. Seulement, le Comité n’a pas
songé à tous ceux qui se trouvaient au milieu !
    Et il éclata de rire. Sénart
hésita avant de répliquer. Après tout, Vadier devait bien être informé de
telles pratiques et les tolérait sans doute. Sinon, il ne l’aurait pas envoyé
voir cette femme. Haussant les épaules, il approcha. Pas de porte, un simple lambeau
de drap masquait bien mal l’intérieur. Il aperçut deux silhouettes féminines
très convenablement habillées. L’une d’elles restait penchée par-dessus une
petite table et remuait des cartes tandis que l’autre semblait suivre avec le
plus vif intérêt les manipulations de sa compagne.
    — La ci-devant
Marie-Josèphe-Rose Tascher de La Pagerie, lui glissa son mentor. Elle dépense
le peu d’argent qu’elle n’a pas à écouter les prédictions de la Lenormand.
    — Et celle-là, si elle n’a pas
d’argent, pourquoi est-elle toujours ici ?
    Le sergent haussa les
épaules :
    — Des inconnus payent pour
elle. Selon certains, ce serait le général Hoche que le Comité de salut public
a envoyé en prison après qu’il a remporté maintes victoires pour la Révolution.
    Ils virent le drap s’écarter et
la dénommée Marie-Josèphe-Rose sortit en se couvrant le visage de son châle.
Sénart se retourna vers l’homme :
    — Laisse-moi maintenant, j’ai à
faire.
    — Pour sûr, citoyen, ce papier
dit que tu peux disposer comme bon t’en semble de la prisonnière, alors ne te
gêne pas. Mais prends garde de ne pas l’offenser. On dit qu’elle a le mauvais
œil.
    Et, sur cette dernière
plaisanterie, il s’éloigna.
    Sénart, à son tour, écarta le
drap et se trouva dans une cellule minuscule où l’on ne voyait guère qu’une
paillasse qui devait servir de lit, une petite table bancale où reposait
toujours le jeu de cartes dont il distinguait les figures étranges et un
tabouret sur lequel s’asseyaient les visiteurs.
    — Tu es la citoyenne Lenormand ?
commença-t-il froidement.
    Elle leva la tête : brune,
un joli minois, piquant, des yeux très vifs et un petit nez pointu qui lui
donnait un air enfantin.
    — Tiens, je me demandais quand
le citoyen Vadier allait enfin daigner s’intéresser à moi.
    Elle parlait d’une voix légère
et cristalline. Le jeune homme trébucha et sentit le rouge lui monter aux
joues.
    — Mais… mais, comment ?
    Elle éclata de rire :
    — Allons, citoyen, je n’ai pas
encore eu le temps de lire quoi que ce soit dans mon tarot te concernant, mais
j’ai observé que tu portais l’uniforme du Comité de sûreté générale. Commissaire,
je crois.
    — Secrétaire rédacteur,
rectifia-t-il en tentant de retrouver son aplomb.
    — Et, étant donné que
Marc-Guillaume Vadier est bien le seul des deux Comités qui ne soit pas venu me
consulter, en te voyant apparaître, j’en ai conclu que c’était lui et personne
d’autre qui avait pu envoyer un officier aussi inexpérimenté que toi.
    — Qui te dit que je suis
inexpérimenté ? coupa Sénart sur un ton rogue.
    Elle rit de nouveau puis lui
fit signe de prendre le tabouret.
    — Parce que tu rougis comme une
jeune fille !
    Il finit par obéir :
    — Vous ne connaissez donc pas
le citoyen Vadier ?
    Elle lui renvoya un regard
espiègle :
    — Nous ne nous sommes jamais
vus mais il me connaît bien. Presque aussi bien que je le connais. Il est le
plus intelligent et c’est lui qui vivra le plus longtemps de tous.
    — Comment pouvez-vous le savoir
si vous ne l’avez jamais vu ?
    Elle eut une petite moue
boudeuse :
    — Parce qu’il est prudent et
retors comme une anguille ! La preuve, il n’est pas venu me consulter.
Tous l’ont fait avant lui et tous sont morts ou mourront bientôt.
    Sénart posa son encombrant
couvre-chef, l’aplomb de la jeune femme le dépassait. Elle semblait
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