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La Ronde De Nuit

La Ronde De Nuit

Titel: La Ronde De Nuit
Autoren: Patrick Modiano
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— Excellente idée ! — Nous n’aurons pas besoin de nous bander les yeux. — L’obscurité suffira. — À vous de commencer, Odicharvi ! — Dispersez-vous !
    Ils marchent à pas feutrés. On les entend ouvrir la porte de l’armoire. Sans doute veulent-ils se cacher dedans. On a l’impression qu’ils rampent autour du bureau. Le plancher craque. Quelqu’un se cogne contre un meuble. La silhouette d’un autre se découpe devant la fenêtre. Rires de gorge. Soupirs. Leurs gestes se précipitent. Ils doivent courir dans tous les sens. — Je vous tiens, Baruzzi. — Manque de chance, je suis Helder. — Qui va là ? — Devinez ! — Rosenheim ? — Non ! — Costachesco ? — Non. — Vous donnez votre langue au chat ?
    — Nous les arrêterons cette nuit, déclare le Khédive. Le lieutenant et tous les membres du réseau, TOUS . Ces gens-là sabotent notre travail.
    — Vous ne nous avez pas encore indiqué l’adresse de Lamballe, murmure Monsieur Philibert. Quand vous déciderez-vous, mon petit ? allons !…
    — Laisse-le souffler, Pierrot.
    La lumière revient brusquement. Ils clignent des yeux. Les voici autour du bureau. — J’ai le gosier sec. — Buvons, chers amis, buvons ! — Une chanson, Baruzzi ! une chanson ! — Il était un petit navire — Continuez, Baruzzi, continuez !
    — qui n’avait ja-ja-ja-ja-mais navigué…
    — Voulez-vous que je vous montre mes tatouages ? propose Frau Sultana. Elle déchire son corsage. Sur chacun de ses seins, il y a une ancre marine. La baronne Lydia Stahl et Violette Morris la renversent et achèvent de la déshabiller. Elle se débat, s’arrache à leurs étreintes et les excite en poussant de petits cris. Violette Morris la poursuit à travers le salon où, dans un coin, Zieff suce une aile de poulet. — Ça fait plaisir de bouffer par ces temps de restriction. Savez-vous ce que j’ai fait tout à l’heure ? Je me suis mis devant une glace et j’ai barbouillé mon visage de foie gras ! Du foie gras à 15 000 francs le médaillon ! (Il pousse de grands éclats de rire.) — Encore un peu de cognac ? propose Pols de Helder. On n’en trouve plus. Il vaut 100 000 francs le quart de litre. Cigarettes anglaises ? Elles me viennent directement de Lisbonne. 20 000 francs le paquet.
    — On m’appellera bientôt Monsieur le Préfet de police, déclare le Khédive d’une voix sèche.
    Son regard se perd aussitôt dans le vague.
    — À la santé du préfet ! hurle Lionel de Zieff.
    Il titube et s’affale sur le piano. Son verre lui a échappé des mains. Monsieur Philibert compulse un dossier en compagnie de Paulo Hayakawa et Baruzzi. Les frères Chapochnikoff s’affairent autour du gramophone. Simone Bouquereau se contemple dans la glace.
     
    Die Nacht
    Die Musik
    Und dein Mund
     
    chantonne la baronne Lydia en esquissant un pas de danse.
    — Une séance de paneurythmie sexuélo-divine ? hennit le mage Ivanoff de sa voix d’étalon.
    Le Khédive les considère tristement — on m’appellera monsieur le Préfet. Il hausse la voix : « Monsieur le Préfet de police ! » Il tape du poing sur le bureau. Les autres ne prêtent aucune attention à cet accès d’humeur. Il se lève, entrouvre la fenêtre gauche du salon. — Venez près de moi, mon petit, j’ai besoin de votre présence ! un garçon aussi sensible que vous ! tellement réceptif… vous me calmez les nerfs !…
    Zieff ronfle sur le piano. Les frères Chapochnikoff ont renoncé à faire marcher le gramophone. Ils inspectent les vases de fleurs un par un, rectifiant la position d’une orchidée, caressant les pétales d’un dahlia. Parfois ils se retournent en direction du Khédive et lui jettent des regards apeurés. Simone Bouquereau semble fascinée par son visage dans la glace. Ses yeux violets s’agrandissent, son teint devient de plus en plus pâle. Violette Morris s’est assise sur le canapé de velours à côté de Frau Sultana. Elles ont tendu les paumes de leurs mains blanches au mage Ivanoff.
    — On a noté une hausse sur le wolfram, déclare Baruzzi. Je peux vous en procurer à des prix intéressants. Je suis en cheville avec Guy Max, du bureau d’achat de la rue Villejust.
    — Je croyais qu’il s’occupait uniquement de textiles, dit Monsieur Philibert.
    — Il s’est reconverti, dit Hayakawa. Il a vendu ses stocks à Macias-Reoyo.
    — Vous préférez peut-être les cuirs verts ? demande Baruzzi.
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