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La Ronde De Nuit

La Ronde De Nuit

Titel: La Ronde De Nuit
Autoren: Patrick Modiano
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battent des mains. — Oui, oui ! Hide and Seek ! Ils pouffent de rire dans l’obscurité. Elle en tremble.
     
     
    Quelques heures auparavant. La grande cascade du Bois de Boulogne. L’orchestre torturait une valse créole. Deux personnes avaient pris place à la table voisine de la nôtre. Un vieux monsieur avec des moustaches gris perle et un feutre blanc, une vieille dame en robe bleu foncé. Le vent faisait osciller les lanternes vénitiennes accrochées aux arbres. Coco Lacour fumait son cigare. Esmeralda buvait sagement une grenadine. Ils ne parlaient pas. C’est pour cela que je les aime. Je voudrais les décrire minutieusement. Coco Lacour : un géant roux, des yeux d’aveugle illuminés de temps en temps par une tristesse infinie. Souvent il les cache derrière des lunettes noires et sa démarche lourde, hésitante, lui donne l’allure d’un somnambule. L’âge d’Esmeralda ? C’est une toute petite fille minuscule. Je pourrais accumuler à leur sujet une foule de détails émouvants mais, épuisé, j’y renonce. Coco Lacour, Esmeralda, ces noms vous suffisent comme me suffit leur présence silencieuse à mes côtés. Esmeralda regardait, émerveillée, les bourreaux de l’orchestre. Coco Lacour souriait. Je suis leur ange gardien. Nous viendrons chaque soir au Bois de Boulogne pour mieux goûter la douceur de l’été. Nous entrerons dans cette principauté mystérieuse avec ses lacs, ses allées forestières et ses salons de thé noyés sous la verdure. Rien n’a changé ici, depuis notre enfance. Te rappelles-tu ? Tu jouais au cerceau le long des allées du Pré Catelan. Le vent caressait les cheveux d’Esmeralda. Son professeur de piano m’avait dit qu’elle faisait des progrès. Elle apprenait le solfège par la méthode Bever et bientôt jouerait de petits morceaux de Wolfgang Amadeus Mozart. Coco Lacour incendiaitun cigare, timidement, comme s’il s’excusait. Je les aime. Pas la moindre sensiblerie dans mon amour. Je pense : si je n’étais pas là, on les piétinerait. Misérables, infirmes. Toujours silencieux. Un souffle, un geste suffirait pour les briser. Avec moi, ils n’ont rien à craindre. L’envie me prend quelquefois de les abandonner. Je choisirais un moment privilégié. Ce soir, par exemple. Je me lèverais et leur dirais à voix basse : « Attendez, je reviens tout de suite. » Coco Lacour hocherait la tête. Le pauvre sourire d’Esmeralda. Il faudrait que je fasse les dix premiers pas sans me retourner. Ensuite, cela irait tout seul. Je courrais jusqu’à la voiture et démarrerais en trombe. Le plus difficile : ne pas desserrer son étreinte pendant les quelques secondes qui précédent la suffocation. Mais rien ne vaut le soulagement infini que l’on éprouve au moment où le corps se relâche et descend très lentement vers le fond. C’est aussi vrai pour le supplice de la baignoire que pour la trahison qui consiste à abandonner quelqu’un dans la nuit, après lui avoir promis de revenir. Esmeralda s’amusait avec une paille. Elle soufflait dedans et faisait mousser sa grenadine. Coco Lacour fumait son cigare. Lorsque le vertige me prend de les quitter,je les observe l’un après l’autre, attentif au moindre de leurs gestes, épiant les expressions de leurs visages comme on s’accroche au parapet d’un pont. Si je les abandonne, je retrouverai la solitude du début. Nous sommes en été, me disais-je, pour me rassurer. Tout le monde va revenir le mois prochain. C’était l’été, effectivement, mais il se prolongeait de manière louche. Plus aucune voiture dans Paris. Plus un seul piéton. De temps en temps les battements d’une horloge rompaient le silence. Au détour d’une avenue en plein soleil, il m’est arrivé de penser que je faisais un mauvais rêve. Les gens avaient quitté Paris au mois de juillet. Le soir ils se rassemblaient une dernière fois aux terrasses des Champs-Elysées et du Bois de Boulogne. Jamais mieux qu’en ces instants, je n’avais goûté la tristesse de l’été. C’est la saison des feux d’artifice. Tout un monde prêt à disparaître jetait ses derniers éclats sous les feuillages et les lanternes vénitiennes. Les gens se bousculaient, parlaient très fort, riaient, se pinçaient nerveusement. On entendait les verres se briser, des portières claquer. L’exode commençait. Pendant la journée, je me promène dans cette ville à la dérive. Les cheminées fument : ils brûlent leurs vieux
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