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La Ronde De Nuit

La Ronde De Nuit

Titel: La Ronde De Nuit
Autoren: Patrick Modiano
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LA RONDE DE NUIT
     
    Des éclats de rire dans la nuit. Le Khédive a relevé la tête.
    — Ainsi, vous nous attendiez en jouant au mahjong ?
    Et il éparpille les pièces d’ivoire sur le bureau.
    — Seul ? demande Monsieur Philibert.
    — Vous nous attendiez depuis longtemps, mon petit ?
    Leurs voix sont coupées de chuchotements et d’inflexions graves. Monsieur Philibert sourit et fait un geste vague de la main. Le Khédive incline la tête du côté gauche et demeure prostré, sa joue touchant presque son épaule. Tel l’oiseau marabout.
    Au milieu du salon, un piano à queue. Tentures et rideaux violets. De grands vases pleins de dahlias et d’orchidées. La lumière des lustres est voilée, comme celle des mauvais rêves.
    Un peu de musique pour nous détendre ? suggère Monsieur Philibert.
    — De la musique douce, il nous faut de la musique douce, déclare Lionel de Zieff.
    — Zwischen heute und morgen ? propose le comte Baruzzi. C’est un slow-fox.
    — Je préférerais un tango, déclare Frau Sultana.
    — Oh, oui, oui, s’il vous plaît, supplie la baronne Lydia Stahl.
    — Du, Du gehst an mir vorbei, murmure d’une voix dolente Violette Morris.
    — Va pour Zwischen heute und morgen, tranche le Khédive.
    Les femmes sont beaucoup trop fardées. Les hommes portent des habits acides. Lionel de Zieff est vêtu d’un complet orange et d’une chemise à rayures ocre, Pols de Helder d’une veste jaune et d’un pantalon bleu ciel, le comte Baruzzi d’un smoking vert cendré. Quelques couples se forment. Costachesco danse avec Jean-Farouk de Méthode, Gaétan de Lussatz avec Odicharvi, Simone Bouquereau avec Irène de Tranzé… Monsieur Philibert se tient à l’écart, appuyé contre la fenêtre gauche. Il hausse les épaules quand l’un des frères Chapochnikoff l’invite à danser. Le Khédive, assis devant le bureau, sifflote et bat la mesure.
    — Vous ne dansez pas, mon petit ? demande-t-il. Inquiet ? Rassurez-vous, vous avez tout votre temps… Tout votre temps…
    — Voyez-vous. déclare Monsieur Philibert, la police est une longue, longue patience.
    Il se dirige vers la console et prend le livre relié de maroquin vert pâle qui s’y trouvait : Anthologie des traîtres, d’Alcibiade au capitaine Dreyfus. Il le feuillette et tout ce qu’il trouve intercalé dans les pages — lettres, télégrammes, cartes de visite, fleurs desséchées — il le pose sur le bureau. Le Khédive semble porter un intérêt très vif à cette investigation.
    — Votre livre de chevet, mon petit ?
    Monsieur Philibert lui tend une photographie. Le Khédive l’examine longuement. Monsieur Philibert s’est placé derrière lui. « Sa mère », murmure le Khédive en désignant la photographie. « N’est-ce pas, mon petit ? Madame votre Mère ? Il répète : « Madame votre Mère… » et deux larmes coulent sur ses joues, coulent jusqu’aux commissures des lèvres. Monsieur Philibert a ôté ses lunettes. Ses veux sont grands ouverts. Il pleure lui aussi. À ce moment-là, éclatent les premières mesures de Bei zärtlicher Musik . C’est un tango et ils n’ont pas assez de place pour évoluer à leur aise. Ils se bousculent, quelques-uns même trébuchent et glissent sur le parquet. « Vous ne dansez pas ? demande la baronne Lydia Stahl. Allons, accordez-moi la prochaine rumba. — Laissez-le tranquille, murmure le Khédive. Ce jeune homme n’a pas envie de danser. — Rien qu’une rumba, une rumba, supplie la baronne. — Une rumba ! une rumba ! » hurle Violette Morris. Sous la lumière des deux lustres, ils rougissent, se congestionnent, virent au violet foncé. La sueur dégouline le long de leurs tempes, leurs yeux se dilatent. Le visage de Pols de Helder noircit comme s’il se calcinait. Les joues du comte Baruzzi se creusent, les cernes de Rachid von Rosenheim se gonflent. Lionel de Zieff porte une main à son cœur. L’hébétude semble avoir frappé Costachesco et Odicharvi. Le maquillage des femmes se craquelle, leur chevelure prend des teintes de plus en plus violentes. Ils se décomposent tous et vont certainement pourrir sur place. Est-ce qu’ils sentent déjà ?
    — Parlons peu mais parlons bien, mon petit, susurre le Khédive. Êtes-vous entré en contact avec celui qu’on appelle « La Princesse de Lamballe » ? Qui est-il ? Où se trouve-t-il ?
    — Entends-tu ? murmure Monsieur Philibert. Henri veut des détails sur celui
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