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La Ronde De Nuit

La Ronde De Nuit

Titel: La Ronde De Nuit
Autoren: Patrick Modiano
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après avoir retardé l’échéance, grâce à mille allées et venues, astuces, mensonges et acrobaties. La fatigue vient très vite. Il ne reste plus qu’à se coucher par terre, essoufflé, et à attendre le règlement de comptes. On ne peut pas échapper aux hommes. Avenue Henri-Martin. Boulevard Lannes. Je conduis au hasard. Les autres suivent à une cinquantaine de mètres. Quels moyens emploieront-ils pour me supprimer ? Breton me passera-t-il à la magnéto ? Ils me considèrent comme une prise importante : la «Princesse de Lamballe », chef du R.C.O. D’ailleurs je viens de commettre un attentat contre le Khédive. Ma manière d’agir doit leur sembler bien curieuse : ne leur ai-je pas livré tous les « Chevaliers de l’Ombre » ? Il faudra que je m’explique là-dessus. En aurai-je la force ? Boulevard Pereire. Qui sait ? Un maniaque s’intéressera peut-être, dans quelques années, à cette histoire. Il se penchera sur la « période trouble » que nous avons vécue, consultera de vieux journaux. Il aura beaucoup de mal à définir ma personnalité. Quel était mon rôle, square Cimarosa, au sein de l’une des bandes les plus redoutables de la Gestapo française ? Et rue Boisrobert parmi les patriotes du R.C.O. ? Je l’ignore moi-même. Avenue de Wagram. La ville est comme un grand manège
     
    dont chaque tour
    nous vieillit un peu…
     
    Je profitais de Paris pour la dernière fois. Chaque rue, chaque carrefour éveillait des souvenirs. Graff, où je rencontrai Lili Marlene. L’hôtel Claridge qu’habitait mon père avant sa fuite à Chamonix. Le bal Mabille où j’allais danser avec Rosita Sergent. Les autres me laissaient poursuivre mon périple. Quand décideraient-ils de m’assassiner ? Leurs automobiles demeuraient toujours à une cinquantaine de mètres derrière moi. Nous prenons les grands boulevards. Un soir d’été comme je n’en ai encore jamais connu. Par les fenêtres entrouvertes s’échappent des bouffées de musique. Les gens sont assis à la terrasse des cafés ou se promènent par groupes, nonchalamment. Les réverbères tremblent, s’allument. Mille lanternes vénitiennes brûlent sous les feuillages. Des éclats de rire fusent un peu partout. Confetti et valses musette. Vers l’est, un feu d’artifice éclate en gerbes roses et bleues. J’ai l’impression de vivre ces instants au passé. Nous longeons les quais de la Seine. Rive gauche, l’appartement où j’habitais avec ma mère. Les volets sont fermés.
     
    Elle est partie
    changement d’adresse…
     
    Nous traversons la place du Châtelet. Je revois le lieutenant et Saint-Georges abattus. à l’angle de l’avenue Victoria. Je subirai le même sort avant la fin de la nuit. Chacun son tour. De l’autre côté de la Seine, une masse sombre : la gare d’Austerlitz. Les trains ne marchent plus depuis longtemps. Quai de la Râpée. Quai de Bercy. Nous nous engageons dans des quartiers bien déserts. Pourquoi n’en profitent-ils pas ? Tous ces entrepôts conviennent — me semble-t-il — à un règlement de comptes. Il fait un si beau clair de lune que nous décidons d’un commun accord de rouler, phares éteints. Charenton-le-Pont. Nous avons quitté Paris. Je verse quelques larmes. Je l’aimais, cette ville. Mon terroir. Mon enfer. Ma vieille maîtresse trop fardée. Champigny-sur-Marne. Quand donc se décideront-ils ? Je veux en finir, moi. Les visages de ceux que j’aimais défilent une dernière fois. Pernety : que sont devenus sa pipe et ses chaussures de cuir noir ? Corvisart : il m’émouvait, ce grand nigaud. Jasmin : un soir, nous traversions la place Adolphe-Chérioux et il me désigna une étoile dans le ciel : « C’est Bételgeuse. » Il m’avait prêté la biographie d’Henri de Bournazel. La feuilletant, j’y trouvai une vieille photo de lui en costume marin. Obligado : son regard triste. Il me lisait souvent des passages de son journal politique. Ces feuilles pourrissent maintenant au fond d’un tiroir. Picpus : sa fiancée ? Saint-Georges, Marbeuf et Pelleport. Leurs poignées de main franches et leurs regards loyaux. Les promenades à Vaugirard. Notre premier rendez-vous au pied de la statue de Jeanne d’Arc. La voix autoritaire du lieutenant. Nous venons de passer Villeneuve-le-Roi. D’autres visages m’apparaissent : mon père, Alexandre Stavisky. Il aurait honte de moi. Il voulait que je fasse Saint-Cyr. Maman. Elle se trouve à Lausanne
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