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La Ronde De Nuit

La Ronde De Nuit

Titel: La Ronde De Nuit
Autoren: Patrick Modiano
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à mes goûts personnels, ils iraient plutôt vers les roses trémières, le jardin au clair de lune et le tango des jours heureux. Un cœur de midinette. Je n’ai pas eu de chance. On entendait, montant du sous-sol, leurs gémissements que la musique finissait par étouffer. Johnny Hess :
     
    Puisque je suis là
    le rythme
    est là
    Sur son aile il vous
    emportera…
     
    Frau Sultana les excitait en poussant des cris stridents. Ivanoff agitait sa « baguette des métaux légers ». Ils se bousculaient, s’essoufflaient, la danse devenait plus saccadée, ils renversaient au passage un vase de dahlias, reprenaient de plus belle leurs gesticulations.
     
    La musique
    c’est
    le philtre magique…
     
    La porte s’ouvrait à deux battants. Codébo et Danos le soutenaient par les épaules. On ne lui avait pas ôté les menottes. Son visage inondé de sang. Il titubait, s’affalait au milieu du salon. Les autres demeuraient dans une immobilité attentive. Seuls, les frères Chapochnikoff, comme si de rien n’était, ramassaient les débris d’un vase, rectifiaient l’ordonnance des fleurs. L’un d’eux, à pas feutrés, se dirigeait vers la baronne Lydia Stahl en lui tendant une orchidée.
    — Si nous tombions toujours sur ce genre de petits crâneurs, ce serait très ennuyeux pour nous, déclarait Monsieur Philibert. — Un peu de patience, Pierre. Il finira par cracher le morceau. — Je crains que non, Henri. — Eh bien, nous en ferons un martyr. Il faut — paraît-il — des martyrs. — Les martyrs, c’est idiot, déclarait Lionel de Zieff d’une voix pâteuse. — Vous refusez de parler ? lui demandait Monsieur Philibert. — Nous n’allons pas vous importuner plus longtemps, murmurait le Khédive. Si vous ne répondez pas, cela veut dire que vous ne savez pas. — Mais si vous savez quelque chose, déclarait Monsieur Philibert, il vaudrait mieux le dire tout de suite.

Il levait la tête. Une tache rouge sur le tapis de la Savonnerie, à l’endroit où son front reposait. Une lueur ironique dans ses yeux bleu pervenche (les mêmes que ceux de Saint-Georges). De mépris plutôt. On peut mourir pour ses idées. Le Khédive le giflait trois fois de suite. Il ne baissait pas les yeux. Violette Morris lui jetait une coupe de Champagne au visage. — Monsieur, s’il vous plaît, susurrait le mage Ivanoff, voulez-vous me montrer votre main gauche ? On peut mourir pour ses idées. Le lieutenant me répétait sans cesse : « Nous sommes tous prêts à mourir pour nos idées. Vous aussi, Lamballe ? » Je n’osais pas lui avouer que moi, si je devais mourir, ce serait de maladie, de peur ou de chagrin. — Attrape ! hurlait Zieff, et il recevait la bouteille de cognac en plein front. — Votre main, votre main gauche, suppliait le mage Ivanoff. — Il va parler, soupirait Frau Sultana, il va parler, je vous le dis, et elle dénudait ses épaules avec un sourire enjôleur. — Tout ce sang… balbutiait la baronne Lydia Stahl. Son front reposait de nouveau contre le tapis de la Savonnerie. Danos le soulevait et le traînait hors du salon. Quelques minutes plus tard, Tony Breton annonçait d’une voix sourde : « Il est mort, il est mort sans parler. » Frau Sultana se détournait en haussant les épaules. Ivanoff rêvait, les yeux perdus au plafond. — Il y a quand même des types gonflés, remarquait Pols de Helder. — Des types butés, tu veux dire, rétorquait le « comte » Baruzzi. — J’en ai presque de l’admiration, déclarait Monsieur Philibert. C’est le premier que je vois résister si bien. Le Khédive : « Des garçons de ce genre-là, Pierre, SABOTENT notre travail. » Minuit. Une sorte de langueur les prenait. Ils s’asseyaient sur les sofas, les poufs, les bergères. Simone Bouquereau retouchait son maquillage devant le grand miroir de Venise. Ivanoff examinait gravement la main gauche de la baronne Lydia Stahl. Les autres se répandaient en menus propos. Vers cette heure-là, le Khédive m’entraînait dans l’embrasure de la fenêtre pour parler de son titre de « préfet de police » qu’il obtiendrait certainement. Il y songeait depuis toujours. Enfant, à la colonie pénitentiaire d’Eysses. Puis au bat’ d’Af’ et à la prison de Fresnes. Désignant le portrait de Monsieur de Bel-Respiro il m’énumérait toutes les médailles que l’on pouvait voir sur la poitrine de cet homme. « Il suffira de remplacer sa tête par la mienne.
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