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La Ronde De Nuit

La Ronde De Nuit

Titel: La Ronde De Nuit
Autoren: Patrick Modiano
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plus méchant qu’un autre. J’ai suivi le mouvement, voilà tout. Je n’éprouve pour le mal aucune attirance particulière. Un jour j’ai rencontré un vieux monsieur couvert de bagues et de dentelles. II m’expliqua d’une voix de fausset qu’il découpait les photos des criminels dans Détective, leur trouvant une beauté « farouche » et « maléfique ». Il me vanta leur solitude « inaltérable » et « grandiose », me parla de l’un d eux, Eugène Weidmann, qu’il appelait « l’ange des ténèbres ». C’était un littérateur, ce type. Je lui ai dit que Weidmann le jour de son exécution portait des chaussures à semelles de crêpe. Sa mère les lui avait achetées jadis à Francfort. Et que, si l’on aimait les gens, il fallait toujours s’arrêter sur de misérables détails comme celui-là. Le reste n’avait aucune importance. Pauvre Weidmann ! À l’heure où je vous parle, Hitler s’est endormi en suçant son pouce et je jette sur lui un regard apitoyé. Il jappe, comme un chien qui rêve. Il se recroqueville, rapetisse, rapetisse, il tiendrait dans le creux de ma main. — À quoi pensez-vous, Swing Troubadour ? — À notre Führer, Monsieur Philibert. — Nous allons vendre le Franz Hals très prochainement. Vous toucherez pour la peine quinze pour cent de commission. Si vous nous aidez à capturer Lamballe, je vous verse une prime de 500 000 francs. De quoi faire le jeune homme. Un peu de cognac ? J’ai la tête qui tourne. Le parfum des fleurs sans doute. Le salon était enfoui sous les dahlias et les orchidées. Un grand buisson de roses, entre les deux fenêtres, cachait à moitié l’autoportrait de Monsieur de Bel-Respiro. Dix heures du soir. Ils envahissaient la pièce les uns après les autres. Le Khédive les accueillait en smoking grenat moucheté de vert. Monsieur Philibert leur adressait un petit signe de la tête et consultait à nouveau ses fiches. De temps en temps il marchait vers l’un d’eux, engageait une courte conversation avec lui, prenait quelques notes. Le Khédive servait alcools, cigarettes et petits fours. Monsieur et Madame de Bel-Respiro auraient été surpris de voir, dans leur salon, une telle assemblée : il y avait là le « marquis » Lionel de Zieff, condamné jadis pour vols, abus de confiance, recel, port illégal de décorations ; Costachesco, banquier roumain, spéculations boursières et faillites frauduleuses ; le « baron » Gaétan de Lussatz, danseur mondain, double passeport monégasque et français ; Pols de Helder, gentleman-cambrioleur ; Rachid von Rosenheim, Monsieur Allemagne 1938, tricheur professionnel ; Jean-Farouk de Méthode, propriétaire du cirque d’Automne et de L’Heure mauve , proxénète, interdit de séjour dans tout le Commonwealth ; Ferdinand Poupet dit « Paulo Hayakawa », courtier d’assurances, tête brûlée, faux et usage de faux ; Otto da Silva, « El Rico Plantador », espion en demi-solde ; le « comte » Baruzzi, expert en objets d’art et morphinomane ; Darquier dit « de Pellepoix », avocat marron ; le « mage » Ivanoff, bulgare charlatan, « tatoueur officiel des églises coptes » ; Odicharvi, indicateur à la préfecture dans les milieux russes blancs ; Mickey de Voisins, « la soubrette », prostitué homosexuel ; l’ex-commandant d’aviation Costantini ; Jean Le Houleux, journaliste, ancien trésorier du Club du Pavois et maître chanteur ; les frères Chapochnikoff dont je n’ai jamais su la raison sociale ni le nombre exact. Quelques femmes : Lucie Onstein, dite « Frau Sultana », jadis danseuse de genre au Rigolett’s ; Magda d’Andurian, directrice à Palmyre d’un hôtel « mondain et discret » ; Violette Morris, championne de poids et haltères, portait toujours des costumes d’homme ; Emprosine Marousi, princesse byzantine, toxicomane et lesbienne ; Simone Bouquereau et Irène de Tranzé, ex-pensionnaires du One-two-two ; la « baronne » Lydia Stahl, qui aimait le Champagne et les fleurs fraîches. Tous ces personnages fréquentaient le 3 bis avec assiduité. Ils avaient brusquement surgi du black-out, d’une période de désespoir et de misère, par un phénomène analogue à celui de la génération spontanée. La plupart d’entre eux occupaient un poste au sein de la « Société Intercommerciale de Paris-Berlin-Monte-Carlo ». Zieff, Méthode et Helder dirigeaient le département des cuirs. Grâce à
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