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La Reine étranglée

La Reine étranglée

Titel: La Reine étranglée
Autoren: Maurice Druon
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arrachèrent leurs béguins de
toile et libérèrent leurs cheveux courts, leurs cheveux de sept mois.
    — Un miroir ! La première
chose que je veux, c’est un miroir, s’écria Blanche comme si elle allait être
libérée sur l’heure et déjà n’avait plus à se soucier que de son apparence.
    Marguerite était casquée de petites
boucles noires, tassées et crépues. Les cheveux de Blanche avaient repoussé
inégalement, par mèches drues et pâles, pareilles à du chaume. Les deux femmes
se passaient les doigts, instinctivement, sur la nuque.
    — Crois-tu que je pourrai être
jolie à nouveau ? demanda Blanche.
    — Comme je dois avoir vieilli,
pour que tu me poses pareille question ! répondit Marguerite.
    Ce que les deux princesses avaient
subi depuis le printemps, le drame de Maubuisson, le jugement du roi, le
monstrueux supplice infligé devant elles à leurs amants, sur la Grand-Place de
Pontoise, les cris orduriers de la foule, et puis cette demi-année de
forteresse, cette touffeur de l’été surchauffant les pierres, ce froid glacial
depuis qu’était arrivé l’automne, ce vent qui gémissait sans répit dans les
charpentes, cette noire bouillie de sarrasin qu’on leur servait aux repas, ces
chemises aussi rugueuses que du crin qui ne leur étaient changées que tous les
deux mois, ces jours interminables derrière une embrasure mince comme une
meurtrière et par laquelle, de quelque manière qu’elles missent la tête, elles
ne pouvaient rien apercevoir que le casque d’un invisible archer passant et
repassant sur le chemin de ronde… tout cela avait trop fortement altéré le
caractère de Marguerite, elle le sentait, elle le savait, pour ne pas lui avoir
aussi modifié le visage.
    Blanche, avec ses dix-huit ans et
son étrange légèreté qui la faisait glisser en un instant de la désolation aux
espoirs insensés, Blanche qui pouvait soudain s’arrêter de sangloter, parce
qu’un oiseau chantait de l’autre côté du mur, et s’écrier, émerveillée :
« Marguerite ! Tu entends ? Un oiseau ! »… Blanche qui
croyait aux signes, à tous les signes, et qui faisait des rêves sans arrêt,
comme d’autres femmes font des ourlets, Blanche, peut-être, si on la sortait de
cette geôle, serait capable de retrouver son teint, son regard et son cœur
d’autrefois ; Marguerite, jamais.
    Depuis le début de sa captivité,
elle n’avait pas versé une seule larme, ni exprimé non plus une seule pensée de
remords. Le chapelain, qui la confessait chaque semaine, était effrayé de la
dureté de cette âme.
    Pas un moment Marguerite n’avait
consenti à se reconnaître responsable de son malheur ; pas un moment elle
n’avait admis que, lorsqu’on était petite-fille de Saint Louis, fille du duc de
Bourgogne, reine de Navarre et future reine de France, se faire la maîtresse
d’un écuyer constituait un jeu périlleux, répréhensible, qui pouvait coûter l’honneur
et la liberté. Elle s’était fait justice d’avoir été mariée à un homme qu’elle
n’aimait point.
    Elle ne se reprochait pas d’avoir
joué ; elle haïssait ses adversaires ; et c’était uniquement contre
eux qu’elle tournait ses inutiles colères, contre sa belle-sœur d’Angleterre
qui l’avait dénoncée, contre sa famille de Bourgogne qui ne l’avait point
défendue, contre le royaume et ses lois, contre l’Église et ses commandements.
Et quand elle rêvait de la liberté, elle rêvait aussitôt de vengeance.
    Blanche lui passa le bras autour du
cou.
    — Je suis sûre, ma mie, que nos
malheurs sont finis.
    — Ils le seront, répondit
Marguerite, à condition que nous agissions habilement et promptement.
    Elle avait un vague projet en tête,
qui lui était venu pendant la messe, et dont elle ne savait pas où il la
mènerait. Elle voulait, de toute manière, mettre la situation à profit.
    — Tu me laisseras parler seule
à ce grand éhanché de Bersumée, dont j’aimerais mieux voir la tête au bout
d’une pique que sur ses épaules, ajouta-t-elle.
    Un moment après, les deux femmes
entendirent qu’on déverrouillait les portes. Elles recoiffèrent leurs béguins.
Blanche alla se placer dans l’ébrasement de l’étroite fenêtre ; Marguerite
s’assit sur un escabeau, seul siège dont elle disposât. Le capitaine de
forteresse entra.
    — Je viens, Madame, ainsi que
vous m’en avez prié, dit-il.
    Marguerite prit son temps, le
regarda de la tête aux pieds, et
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