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La Reine étranglée

La Reine étranglée

Titel: La Reine étranglée
Autoren: Maurice Druon
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écrié :
    — Ah ! Ceci me paraît un
château bien gaillard.
    Et l’édifice ainsi avait reçu son
nom.
    Tout était prévu dans les défenses
de ce gigantesque modèle d’architecture militaire, l’assaut, l’attaque frontale
ou tournante, l’investissement, l’escalade, le siège, tout, sauf la trahison.
    Sept ans seulement après sa
construction, la forteresse tombait aux mains de Philippe Auguste, en même
temps que celui-ci enlevait au souverain anglais le duché de Normandie.
    Depuis lors, Château-Gaillard avait
été utilisé moins comme place de guerre que comme prison. Le pouvoir y
enfermait des adversaires dont la liberté était intolérable pour l’État, mais
dont la mise à mort eût pu susciter des troubles, ou créer des conflits avec
d’autres puissances. Qui franchissait le pont-levis de cette citadelle avait
peu de chances de revoir le monde.
    Les corbeaux tout le jour
croassaient sous les toitures ; la nuit les loups venaient hurler jusqu’au
pied des murs.
    En novembre 1314, Château-Gaillard,
ses remparts et sa garnison d’archers ne servaient qu’à garder deux femmes,
l’une de vingt et un ans, l’autre de dix-huit, Marguerite et Blanche de
Bourgogne, deux princesses de France, belles-filles de Philippe le Bel,
décrétées de réclusion perpétuelle pour crime d’infidélité envers leurs époux.
    C’était le dernier matin du mois, et
l’heure de la messe.
    La chapelle se trouvait dans la
deuxième enceinte. Elle prenait assise sur la roche. Il y faisait sombre, il y
faisait froid ; les murs, sans aucun ornement, suintaient.
    Trois sièges seulement y étaient
disposés, deux à gauche qu’occupaient les princesses, un à droite pour le
capitaine de la forteresse, Robert Bersumée.
    Derrière, les hommes d’armes se
tenaient debout, alignés, montrant le même ennui, la même indifférence que
s’ils avaient été rassemblés pour la corvée de fourrage. La neige qu’ils
transportaient à leurs semelles fondait autour d’eux, en flaques jaunâtres. Le
chapelain tardait à commencer l’office. Dos à l’autel, il frottait ses doigts
gourds, aux ongles ébréchés. Un imprévu, visiblement, perturbait sa pieuse
routine.
    — Mes frères, dit-il, il nous
faut ce jour élever nos prières avec grand-ferveur et grand-solennité.
    Il s’éclaircit la voix et hésita,
troublé par l’importance même de ce qu’il avait à annoncer.
    — Messire Dieu vient de
rappeler à lui l’âme de notre bien-aimé roi Philippe. C’est dure affliction
pour tout le royaume…
    Les deux princesses tournèrent l’une
vers l’autre leurs visages enserrés dans les béguins de grosse toile bise.
    — Que ceux qui lui firent tort
ou injure en aient pénitence au cœur, continua le chapelain ; que ceux qui
lui gardaient grief en son vivant implorent pour lui la miséricorde dont chaque
homme qui meurt, grand ou petit, a égal besoin devant le tribunal de Nôtre-Seigneur…
    Les deux princesses étaient tombées
à genoux, courbant la tête pour cacher leur joie. Elles ne sentaient plus le
froid, elles ne sentaient plus leur angoisse ni leur misère. Une immense onde
d’espérance les parcourait ; et si, dans leur silence, elles s’adressaient
à Dieu, c’était pour le remercier de les avoir délivrées de leur terrible
beau-père. Depuis sept mois qu’on les avait enfermées à Château-Gaillard, le
monde leur envoyait enfin une bonne nouvelle.
    Les hommes d’armes, dans le fond de
la chapelle, chuchotaient, s’agitaient, remuaient les pieds.
    — Est-ce qu’on va donner à
chacun de nous un sou d’argent ?
    — Parce que le roi est
mort ?
    — Cela se fait, à ce qu’on m’a
dit.
    — Mais non, pas pour la
mort ; pour le sacre du nouveau roi, peut-être bien.
    — Et comment va-t-il s’appeler
maintenant, le roi ?
    — Est-ce qu’il va faire la
guerre, qu’on change un peu de pays ?…
    Le capitaine de la forteresse se
retourna et leur lança d’une voix rude :
    — Priez !
    La nouvelle lui posait des
problèmes. Car l’aînée des prisonnières était l’épouse du prince qui devenait
roi aujourd’hui. « Me voilà donc gardien de la reine de France », se
disait le capitaine.
    Ce ne fut jamais une situation aisée
que d’être le geôlier de personnes royales. Robert Bersumée devait à ces deux
condamnées qui lui étaient arrivées vers la fin d’avril, la tête rasée, dans
des chariots tendus de noir et sous l’escorte de cent
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