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La Reine étranglée

La Reine étranglée

Titel: La Reine étranglée
Autoren: Maurice Druon
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archers, les plus mauvais
moments de sa vie. Deux femmes jeunes, trop jeunes pour qu’on n’eût pas pitié
d’elles… belles, trop belles, même sous leurs informes robes de bure, pour
qu’on pût se défendre d’être ému en les approchant, jour après jour, pendant
sept mois… Qu’elles allassent séduire un sergent de la garnison, s’évader, ou
bien que l’une d’elles se pendît ou gagnât une maladie mortelle, ou encore que
leur survînt un retour de fortune, et ce serait toujours lui, Bersumée, qui
serait en tort, réprimandé pour trop de faiblesse ou trop de rigueur ; et,
dans tous les cas, cela ne lui vaudrait rien pour son avancement. Or, pas plus
que ses prisonnières, il n’avait envie de terminer ses jours dans une citadelle
battue des vents, mouillée des brumes, construite pour contenir deux mille
soldats et qui n’en comptait plus que cent cinquante, au-dessus de cette vallée
de Seine par où la guerre, depuis beau temps, ne passait plus.
    L’office se déroulait ; mais
personne ne pensait ni à Dieu ni au roi ; chacun ne pensait qu’à soi.
    — Requiem æternam dona ei
Domine…, entonnait le chapelain.
    Dominicain en disgrâce, qu’un sort
contraire et le goût du vin avaient fait échouer à cette desserte de prison, le
chapelain, tout en chantant, se demandait si le changement de règne
n’apporterait pas quelque modification dans sa propre destinée. Il résolut de
ne plus boire pendant une semaine, pour mettre la Providence dans son jeu et se
préparer à accueillir un événement favorable.
    —  Et lux perpétua luceat ei ,
répondait le capitaine.
    En même temps il pensait :
« On ne saurait me faire de reproches. J’ai appliqué les ordres que j’ai
reçus, voilà tout ; mais je n’ai point infligé de sévices. »
    —  Requiem æternam …
reprenait le chapelain.
    — Alors on va point même nous
bailler un setier de vin ? chuchotait le soldat Gros-Guillaume au sergent
Lalaine.
    Quant aux deux prisonnières, elles
se contentaient de remuer les lèvres, mais n’osaient prononcer le moindre
répons ; elles eussent chanté trop haut et trop joyeusement.
    Certes, ce jour-là, dans les églises
de France, il se trouvait beaucoup de gens pour pleurer le roi Philippe, ou
croire qu’ils le pleuraient. Mais en vérité l’émotion, même chez ceux-là,
n’était qu’une forme d’apitoiement sur eux-mêmes. Ils s’essuyaient les yeux,
reniflaient, hochaient le front, parce que, avec Philippe le Bel, c’était leur
temps vécu qui s’effaçait, toutes les années passées sous son sceptre, presque
un tiers de siècle dont son nom resterait la référence. Ils pensaient à leur
jeunesse, prenaient conscience de leur vieillissement, et les lendemains
soudain leur semblaient incertains. Un roi, même à l’heure qu’il trépasse,
reste pour les autres une représentation et un symbole. La messe achevée,
Marguerite de Bourgogne, passant pour sortir devant le capitaine de forteresse,
lui dit :
    — Messire, je souhaite vous
entretenir de choses importantes, et qui vous concernent.
    Bersumée éprouvait une gêne chaque
fois que Marguerite de Bourgogne, lui parlant, le regardait dans les yeux.
    — Je viendrai vous entendre,
Madame, répondit-il, aussitôt que j’aurai fait ma ronde.
    Il ordonna au sergent Lalaine de
reconduire les prisonnières, en lui conseillant à voix basse un redoublement
tout à la fois d’égards et de prudence.
    La tour où Marguerite et Blanche
étaient recluses ne se composait que de trois grandes chambres rondes,
superposées et identiques, une par étage, avec chacune une cheminée à hotte et
un plafond voûté. Ces pièces étaient reliées par un escalier en escargot qui
tournait dans l’épaisseur du mur. Un détachement de gardes occupait en
permanence la chambre du rez-de-chaussée. Marguerite logeait dans la pièce du
premier étage, et Blanche dans celle du second. La nuit, les princesses étaient
séparées par des portes épaisses qu’on cadenassait ; dans la journée,
elles avaient le droit de communiquer.
    Lorsque le sergent les eut
raccompagnées, elles attendirent que les gonds et les verrous eussent grincé au
bas des marches.
    Puis elles se regardèrent et, du
même mouvement, coururent l’une vers l’autre en s’écriant :
    — Il est mort, il est
mort !
    Elles s’étreignaient, dansaient,
riaient et pleuraient tout ensemble, et inlassablement elles répétaient :
    — Il est mort !
    Elles
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