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La Reine étranglée

La Reine étranglée

Titel: La Reine étranglée
Autoren: Maurice Druon
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un peu longue.
    — Jamais, Monseigneur ; je
puis en répondre, s’écria le chapelain.
    — Et… avec vous ?
    — Oh ! Monseigneur !
    — Allons, allons ! dit
l’Artois. Cela s’est déjà vu, et l’on connaît plus d’un de vos pareils qui, son
froc ôté, se sent homme autant qu’un autre. Pour ma part je n’y vois pas
offense, et même, pour vous dire franc, j’y verrais plutôt matière à louange…
Et avec sa cousine ? Les deux dames ne se consolent point un peu entre elles ?
    — Monseigneur ! dit le
chapelain, affectant de plus en plus un pieux effarouchement. C’est un secret
de confession que vous me demandez là !
    D’Artois lui adressa une bourrade
amicale.
    — Allons, allons, messire
chapelain, ne plaisantez point. Si l’on vous a mis desservant de prison, ce
n’est pas pour garder les secrets, c’est pour les répéter… à qui de droit.
    — Ni Madame Marguerite, ni
Madame Blanche, ne se sont jamais accusées à moi d’être coupables de rien de
semblable, sinon en rêve, dit le chapelain en baissant les yeux.
    — Ce qui ne prouve pas qu’elles
sont innocentes, mais qu’elles sont prudentes. Savez-vous écrire ?
    — Certes, Monseigneur.
    — Ah bah ! fit d’Artois
d’un air étonné. Tous les moines ne sont donc pas d’aussi fieffés ignorants
qu’on le dit !… Alors, mon petit frère, vous allez prendre du parchemin,
des plumes, et tous les ingrédients qu’il faut pour gratter une lettre, et vous
tenir au bas de la tour des princesses, prêt à grimper dès que je vous
appellerai.
    Le chapelain s’inclina. Il avait
quelque chose à ajouter, mais d’Artois, s’enveloppant de son grand manteau
d’écarlate, sortait. Le chapelain courut derrière lui.
    — Monseigneur, Monseigneur,
dit-il d’une voix pleine d’onction, auriez-vous la grande bonté, si ce n’est
point vous offenser que de vous faire pareille requête, auriez-vous l’immense
bonté…
    — Quoi donc ? Quelle
bonté ?
    — Eh bien, Monseigneur, de dire
à frère Renaud, le grand inquisiteur, s’il vous arrive de le voir, que je suis
toujours son bien obéissant fils, et aussi qu’il ne m’oublie pas trop longtemps
dans ce château fort, où je sers de mon mieux puisque Dieu m’y a mis ;
mais j’ai quelques mérites, Monseigneur, ainsi que vous l’avez pu voir, et je
souhaiterais qu’on leur donnât un autre emploi.
    — J’y penserai, je lui dirai,
répondit d’Artois qui savait déjà qu’il n’en ferait rien.
    Dans la chambre de Marguerite, les
deux princesses achevaient leur toilette. Elles venaient de se laver longuement
devant le feu, faisant durer ce plaisir retrouvé. Leurs courts cheveux étaient
encore emperlés de gouttelettes ; et elles avaient juste revêtu de grandes
chemises blanches, raides d’empois, trop vastes et fermées au col par une
coulisse. Quand la porte s’ouvrit, les deux femmes eurent un même mouvement de
recul pudique.
    — Oh ! Mes cousines, dit
Robert, ne vous souciez point. Restez donc ainsi. Je suis de la famille. Et
puis ces chemises vous cachent mieux que les robes dans lesquelles vous vous
montriez naguère. Vous avez tout juste l’air de petites nonnains. Mais vous
offrez meilleur aspect que tout à l’heure, et les couleurs commencent à vous
revenir. Avouez que votre sort n’a pas tardé à changer, depuis que je suis
arrivé !
    — Oh ! Oui, merci, mon
cousin ! s’écria Blanche.
    La pièce était transformée. On y
avait installé un lit, deux coffres qui formaient bancs, une chaise à dossier,
des tréteaux et une table sur laquelle étaient disposés les écuelles, les
gobelets et le vin de Bersumée. Un cierge était allumé, car bien que midi n’eût
pas encore sonné à la grêle cloche de la chapelle, la lumière de ce jour
neigeux n’éclairait déjà plus l’intérieur de la tour. Dans la cheminée
flambaient de lourdes bûches dont l’humidité s’échappait par les bouts, en
petites bulles, avec un bruit chuintant.
    Aussitôt après Robert entrèrent le
sergent Lalaine, l’archer Gros-Guillaume et un autre soldat, qui montaient un
potage épais et fumant, un gros pain briais rond comme une tourte, un pâté de
cinq livres dans une croûte dorée, un lièvre rôti, des quartiers d’oie confite
et quelques poires crassanes que Bersumée, en menaçant de faire raser le bourg,
avait pu dénicher dans les Andelys.
    — Comment, s’écria d’Artois,
est-ce tout ce que vous nous portez quand
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