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La Reine étranglée

La Reine étranglée

Titel: La Reine étranglée
Autoren: Maurice Druon
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avait besoin d’elle.
    — C’est vouloir me faire
professer un gros mensonge, dit-elle.
    D’Artois éclata de rire.
    — Eh là, ma cousine ! Vous
en avez professé quelques autres, il me semble, et sans trop de
scrupules !
    — Il se peut que j’aie changé,
et me sois repentie. Il me faut réfléchir avant de décider.
    Robert d’Artois fit une curieuse
grimace, tordant les lèvres de droite à gauche.
    — Soit, dit-il, mais
réfléchissez vite. Car je dois être à Paris le matin d’après-demain, pour la
grand-messe de funérailles du roi Philippe, à Notre-Dame. Vingt-trois lieues à
me caler dans les bottes. Avec ces chemins où l’on enfonce de deux pouces dans
la crotte, le jour qui tombe tôt et se lève tard, je ne puis guère muser. Je
m’en vais dormir une heure et vous viendrai retrouver pour manger avec vous. Il
ne sera pas dit que je vous laisserai seule, ma cousine, le premier jour où
vous ferez bonne chère. Vous aurez décidé comme il faut, j’en suis sûr.
    Il sortit vivement, et manqua de
renverser dans l’escalier l’archer Gros-Guillaume qui montait, suant et courbé
sous un énorme coffre. D’autres meubles s’entassaient au bas des marches.
    D’Artois s’engouffra dans le
logement dévasté du capitaine de forteresse et se jeta sur la seule couche qui
y restât.
    — Bersumée, mon ami, que le
dîner soit prêt dans une heure, dit-il. Et appelle mon valet Lormet, qui doit
être parmi les écuyers, pour qu’il vienne veiller mon sommeil.
    Car ce colosse ne craignait rien,
sinon de s’offrir sans défense à ses ennemis pendant qu’il dormait. Et à tout
varlet ou bachelier, il préférait, comme garde, le serviteur trapu, carré,
grisonnant, qui le suivait partout et le servait en tout, aussi habile à le
pourvoir de filles qu’à poignarder silencieusement un gêneur si quelque affaire
tournait mal dans une taverne. Avec cela malicieux, mais jouant à merveille les
niais, et d’autant plus dangereux qu’il ne payait pas de mine, Lormet était un
espion excellent. Quand on lui demandait ce qui l’attachait si fort à
Monseigneur Robert, le bonhomme, ses joues rondes traversées d’un sourire
auquel manquaient trois dents, répondait :
    — C’est parce que dans chacun
de ses vieux manteaux, je peux m’en tailler deux.
    Dès que Lormet fut entré, Robert
ferma les yeux et s’endormit dans l’instant, bras ouverts, pieds écartés, le
ventre soulevé d’un bon souffle d’ogre.
    Lormet s’assit sur un tabouret, sa
dague posée en travers des genoux, et se mit en surveillance devant le sommeil
du géant.
    Une heure plus tard Robert d’Artois
s’éveilla de lui-même, s’étira comme un gros tigre, et se dressa, reposé de
muscles et frais d’esprit.
    — À toi d’aller dormir
maintenant, mon bon Lormet, dit-il ; mais auparavant, va me quérir le
chapelain.
     

III

LA DERNIÈRE CHANCE D’ÊTRE REINE
    Le dominicain en disgrâce arriva
aussitôt, tout agité d’être mandé en particulier par un si haut baron.
    — Mon frère, lui dit d’Artois,
vous connaissez bien Madame Marguerite puisque vous la confessez. Quel est le
faible de sa nature ?
    — La chair, Monseigneur,
répondit le chapelain en baissant modestement les yeux.
    — Grande nouvelle en
vérité ! Mais encore… Y a-t-il quelque sentiment chez elle sur lequel on
puisse peser, pour lui faire entendre certaines choses qui sont dans son
intérêt comme dans celui du royaume ?
    — Je ne vois pas, Monseigneur.
Je ne vois rien en elle qui puisse fléchir… sauf sur le point que je vous ai
dit. Cette princesse a l’âme dure comme une épée, et même la prison n’en a pas
émoussé le tranchant. Ah ! Ce n’est point, croyez-le, une pénitente
facile !
    Les mains dans les manches, le front
incliné, il essayait de se montrer à la fois pieux et habile. Il n’avait pas été
tondu récemment, et son crâne, au-dessus de la couronne de cheveux, se couvrait
d’une rase fourrure beige. Son froc blanc était marbré de taches de vin mal
effacées au lavage.
    D’Artois resta silencieux un
instant, se frottant la joue parce que la tonsure du chapelain le faisait
songer à sa barbe qui commençait à pousser.
    — Et sur le point que vous
m’avez dit, reprit-il, qu’a-t-elle trouvé ici pour satisfaire… sa faiblesse,
puisque c’est ainsi que vous nommez cette sorte de vigueur ?
    — À ma connaissance, rien,
Monseigneur.
    — Bersumée ? Il ne lui
fait jamais de visite
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