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La règle de quatre

La règle de quatre

Titel: La règle de quatre
Autoren: Ian Caldwell
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dans la chambre. Il a les cheveux aplatis sur un côté de sa tête et le visage marqué de plis d’oreiller.
    — Trop de bruit, répond-il. J’ai travaillé dans mon plumard et je me suis endormi.
    Il n’a, pour ainsi dire, pas fermé l’œil depuis deux nuits, peut-être plus. D’une semaine à l’autre, Vincent Taft exige toujours davantage. Contrairement aux autres directeurs de recherche, trop heureux de voir leurs étudiants se pendre à la corde de leurs propres ambitions, Taft suit pas à pas l’avancée des travaux de Paul.
    — Alors, qu’est-ce que tu décides ? me presse de nouveau Gil pour meubler le silence.
    Il s’interroge évidemment sur le contenu des deux enveloppes qui trônent sur la table et sur lesquelles mes yeux se posent entre chaque paragraphe de mon bouquin. La première lettre, en provenance de l’université de Chicago, m’annonce mon admissibilité au programme de doctorat de littérature. La littérature, j’ai ça dans le sang, comme Charlie la médecine. Et un diplôme de Chicago me conviendrait tout à fait. En raison de mes résultats moyens à Princeton et parce que je ne sais pas encore très bien ce que je veux faire, je me suis appliqué pour rédiger ma lettre de motivation : les bons responsables de recherche flairent l’indécision des candidats comme le chien renifle la peur.
    — Prends l’oseille, me conseille Gil sans lâcher Audrey Hepburn.
    Gil est le fils d’un banquier de Manhattan. Pour lui, Princeton ne constitue pas une fin en soi, mais une parenthèse agréable, une halte sur la route qui conduit à Wall Street. Il est une caricature de lui-même, ce qui ne l’empêche pas de sourire quand on le taquine sur le sujet. Et ce sourire, il le conservera jusqu’à son entrée à la banque. Même Charlie, pourtant assuré de gagner une petite fortune en exerçant la médecine, ne verra jamais passer sur son compte qu’une fraction des sommes qui attendront Gil à chaque fin de mois.
    — Ne l’écoute pas, lance Paul de l’autre côté de la pièce, et fie-toi à ton intuition.
    Je suis étonné qu’il s’intéresse à autre chose qu’à son mémoire.
    — Prends l’oseille, répète Gil en sortant une bouteille d’eau du frigo.
    — Ils proposent combien ? questionne Charlie, délaissant ses aimants.
    — Quarante et un, dit Gil, qui fait tomber quelques aimants shakespeariens en refermant le frigo. Plus une prime de cinq. Plus les stock-options.
    Le printemps est la saison des offres d’emploi, et 1999 est un excellent cru. Quarante et un mille dollars représentent plus ou moins le double de ce que je m’attendais à gagner avec ma licence d’anglais.
    La proposition de Dedalus était alléchante. Cette start-up affirme avoir mis au point le logiciel le plus perfectionné du monde pour le dégraissage d’entreprise. Quand j’ai postulé, cette boîte m’était inconnue et la notion de dégraissage n’est toujours pas claire pour moi, mais, comme la rumeur veut que les salaires des débutants soient élevés dans ce genre d’entreprise, je me suis rendu à Austin, au Texas, pour l’entretien. Dedalus se fichait pas mal que j’ignore tout de la nature de ses activités. Si j’arrivais à résoudre deux ou trois casse-tête pendant l’entretien et à me montrer sous un jour sympathique, on m’offrait la place. En bon émule de César, Jules, je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu.
    — Presque, dis-je en lisant la lettre. Ils me proposent quarante-trois mille dollars. Trois mille à la signature, plus mille cinq cents en stock-options.
    — Alouette, je te plumerai ! ajoute Paul à l’autre bout de la pièce.
    Il est le seul à considérer qu’on risque de se salir davantage à trop parler d’argent qu’à y toucher.
    — Vanité des vanités, ajoute-t-il.
    — Vanité des vanités, tout est vanité, chante Charlie de sa voix de baryton en imitant le pasteur de son église.
    — Sans blague, Tom, poursuit Paul avec impatience, une boîte qui t’offre un salaire aussi élevé a peu de chances de survivre. Tu ne sais même pas ce qu’ils fabriquent !
    Il replonge dans son cahier pour y gribouiller quelques notes, persuadé que, comme la plupart des prophètes, il est condamné à être incompris.
    Gil ne lâche pas l’écran des yeux, mais Charlie, qui a bien senti que Paul était agacé, lève la tête.
    — Très bien, basta, tout le monde ! lance-t-il d’une voix de stentor. La pression est trop forte.
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