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La règle de quatre

La règle de quatre

Titel: La règle de quatre
Autoren: Ian Caldwell
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s’est pas manifesté depuis. On le voit peu depuis quelque temps. Pour fuir l’énorme pression qu’il subit en ce moment, il a choisi de travailler à l’Ivy Club, l’association estudiantine dont Gil et lui sont membres. Il y rédige son mémoire, ultime épreuve avant l’obtention du diplôme de Princeton. Pour Charlie, Gil et moi, ce pensum est derrière nous. Charlie a identifié une nouvelle protéine dans certains signaux neuronaux. Gil s’en est sorti en élaborant une théorie sur les effets de l’imposition d’une taxe d’habitation. Quant à moi, entre deux entretiens et trois demandes d’inscription, j’ai réussi à noircir plusieurs dizaines de pages sur Frankenstein qui ne bouleverseront pas l’abondante exégèse de ce chef-d’œuvre.
    Le mémoire est une contrainte méprisée par la majorité des étudiants. À écouter les anciens, c’est un exercice tout à fait anodin qu’on liquide rapidement en pensant à sa carrière. Or la rédaction de ce compte rendu de recherche d’une centaine de pages exige du temps et des efforts. Un professeur de sociologie nous déclara un jour, sur le ton désagréable du donneur de leçons qui n’a pas compris que la cloche avait sonné :
    — La rédaction de votre mémoire est une épreuve initiatique, qui marque votre entrée dans l’âge adulte. Ce que vous portez est lourd, vous aurez du mal à vous en relever. Ça s’appelle la responsabilité. Tâchez de vous y coller.
    Cause toujours. La seule créature contre laquelle ce prof se soit jamais collé est une ravissante thésarde du nom de Kim Silverman. Sur ce point, Charlie et moi étions parfaitement d’accord : si se coller à Kim Silverman est le genre d’expérience réservé aux adultes, autant grandir sans attendre.
    Paul est donc le dernier à boucler son mémoire, qui sera certainement le meilleur, sinon le plus brillant du département d’histoire, voire de toute sa promotion. Le secret de l’intelligence de Paul ? Une patience à nulle autre pareille qui lui permet d’épuiser son sujet.
    — Ceux qui pensent qu’une vie ne suffit pas pour compter cent millions d’étoiles à raison d’une par seconde se trompent, m’avait-il déclaré un jour. En réalité, il faut trois ans, à condition de se concentrer et de ne pas se laisser distraire par quoi que ce soit.
    Mais si Paul sait combien d’étoiles on peut compter en trois ans, après bientôt quatre années de dur labeur, il n’a toujours pas terminé son mémoire. En général, les étudiants soumettent leur sujet la dernière année, au moment de la rentrée universitaire, et rendent leur travail au printemps suivant. Paul, lui, se bat avec depuis son arrivée à Princeton. Dès le premier trimestre, il s’intéressait à un ouvrage de la Renaissance au titre alambiqué ; pour ma part, je le prononce sans mal puisque mon père y a consacré presque toute sa vie d’historien. Et ce que Paul a recueilli jusqu’à présent sur l ’Hypnerotomachia Poliphili attiserait les désirs des chercheurs les plus chevronnés.
    Je lui ai donné un coup de main cet hiver pour ses recherches. Cela lui a permis d’avancer, et à moi, de comprendre enfin ma mère, qui prétendait que certains hommes étaient capables de vouer à un livre la passion d’ordinaire dévolue à une femme. L’ Hypnerotomachia peut sembler rébarbative, mais le mystère qu’elle recèle parvient à envoûter tous ceux qui l’approchent. Paul aurait voulu que je partage son enthousiasme. Mais, sentant que, comme mon père, je risquais de succomber à cette passion, je me suis retiré avant que ma relation avec ma petite amie n’en pâtisse.
    Depuis, les choses ont changé entre Paul et moi. Bill Stein, un doctorant, a pris le relais et l’aide à mettre la touche finale. À l’approche de la date butoir, Paul, d’habitude assez bavard, s’abîme dans ses pensées et refuse de parler de son mémoire. Pour le coup, Gil et Charlie sont logés à la même enseigne que moi.
    — Alors, qu’est-ce que tu décides ? me demande Gil.
    Charlie abandonne un instant ses aimants.
    — Réponds ! On est sur des charbons ardents.
    On entend un froissement dans la chambre que je partage avec Paul. Le voilà qui apparaît dans l’embrasure de la porte, en boxer et en tee-shirt, les yeux gonflés de sommeil.
    — On te croyait au club, observe Charlie après un temps qui semble long.
    Paul secoue la tête, recule de quelques pas et attrape un cahier
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