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La parade des ombres

La parade des ombres

Titel: La parade des ombres
Autoren: Mireille Calmel
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suffoquée de ce piège, voyant déjà sa défaite. Elle recula, mais le canon d’une arme contre ses reins l’arrêta.
    — C’est fini, Emma de Mortefontaine, susurra une voix à son oreille, c’est dans le cœur qu’il vous aurait fallu tirer pour m’abattre, à Venise.
    « Baletti », comprit aussitôt Emma.
    En un instant, les fantômes de tous ceux qu’elle avait persécutés dansèrent devant ses yeux. Niklaus ressuscité sous les traits de Junior, Mary tant de fois perdue, et ce marquis dont le seul souffle brûlait.
    — Vous n’en finirez donc jamais de crever ! Ann, implora-t-elle, Ann, sauve-moi !
    Mais Ann ne voyait plus que Petit Jack qui lui tendait les bras, et cet inconnu qui pourtant ne l’était pas.
    — Prends-le, Ann, murmura l’homme.
    — Je te connais, dit-elle, le découvrant mieux de l’avoir approché. Tu ressembles à mon père.
    — C’est moi, Ann. Juste moi, lui dit-il. Junior. Ton Junior de frère.
    — Junior, murmura Ann en fouillant ses yeux.
    — Ne l’écoute pas, Ann ! hurla Emma, désespérée de ce dénouement, refusant de la perdre maintenant.
    Elle se tourna vers Mary et tomba à genoux en tremblant.
    — Je l’ai épargnée, Mary. Epargnée et aimée pour toi. Je t’en prie, supplia-t-elle. Ne me l’enlève pas !
    — C’est ma fille, Emma. Et rien ni personne ne pourra changer ça ! Tu n’aurais jamais dû t’achamer contre moi. Contre eux.
    Petit Jack sauta au cou de sa mère, effrayé de cette violence.
    — A peur, chuchota-t-il en reniflant.
    Son gémissement déchira le voile des souvenirs perdus d’Ann Bonny.
    « Junior, sauve-moi », pleura une petite voix dans sa mémoire.
    Elle se souvint. Elle se souvint de leur complicité, de Toby et de Milia, de ce trésor qu’ils cachaient dans le jardin, de leurs farces et de leurs rires, de Mary Read qui attachait la salamandre à son cou et la serrait dans ses bras, du regard de son père quand elle voulait le séduire. Elle se souvint de tout. Y compris de cette méchante dame qui avait tiré au front de son papa, avant de l’emporter dans ses bras.
    Elle hurla, posa Petit Jack à terre, enleva le pistolet à la ceinture de Junior, croisa le regard de Mary et fit feu. En même temps qu’elle.
    Emma de Mortefontaine s’effondra. De cette vengeance conjointe qui la faucha.
     

Epilogue
     
     
    J unior, sa femme et ses enfants accompagnèrent Ann et James Vanderluck en Caroline-du-Sud, où ils se marièrent.
    Comme si elle avait voulu racheter ses actes passés et sa soif inextinguible d’amour, Emma de Mortefontaine avait fait doter Ann de toute sa fortune avant que Gabriel s’en empare. Légalement, celle-ci devint leur seule héritière et vécut heureuse à Charleston, réconciliée avec son père, qui fit la lumière sur ce viol dont elle l’avait injustement accusé.
    Hans coula une fin de vie heureuse à leurs côtés, s’occupant avec Mary et Baletti d’affaires maritimes, formant une flottille avec le Bay Daniel reconverti en marchand, qu’aucun pirate des Caraïbes n’osa plus croiser.
    Des exploits d’Ann Bonny et de Mary Read ne resta plus qu’une légende qui, génération après génération, continua de faire rêver tous ceux qui avaient le goût de l’aventure.
    Baletti regagna Venise de longues années plus tard, après que Mary, mourante et âgée, eut vu son dernier matin se lever sur l’océan. C’est d’une complainte, celle de son violon, qu’il accompagna le glissement furtif de son corps sur la planche du coq tandis que l’horizon flamboyait. Le crâne de cristal ne la sauva pas, cette fois. Tel avait été le prix de la guérison de Baletti. Cette longévité dont il ne put se défaire bien qu’il eût abandonné le crâne sur sa stèle à Lubaantun. Aucune femme jamais ne remplaça Mary dans son cœur.
    Fidèle à la promesse qu’il lui fit de reprendre ses œuvres, il devint le comte de Saint-Germain, se distingua par ses étonnantes facultés et connaissances, et s’installa à la cour de France, semant, avec d’autres, les germes d’une révolution qui commença en 1789.
    Il ne put pourtant jamais percer le secret de Lubaantun. Il repéra bien une encoche pratiquée dans une des parois polies de la salle du trésor. Une encoche en forme d’aiguille. Il se souvint de celle dont lui avait parlé Emma et tenta de la retrouver, en vain. Il eut beau essayer d’en reproduire la clé, aucun cristal sur cette terre ne parvint à ouvrir
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