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La nef des damnes

La nef des damnes

Titel: La nef des damnes
Autoren: Viviane Moore
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œil et favorise la chance. Qu’il vous protège !
    « La jeune femme fut incapable de répondre. Elle regardait le pendentif d’or enfermant un coquillage au cœur en spirale.
    — Mettez-le, je vous en prie, insista l’Oriental.
    Eleonor obéit puis releva les yeux. Ils allaient accoster. Déjà, les marins s’apprêtaient à lancer les amarres. Sur le quai, une foule bigarrée les attendait. Une foule avide de voir ce que venaient faire chez eux des navires aux armes du roi Henri d’Angleterre. Un peu en retrait derrière la cohue était stationnée une voiture fermée de rideaux de cuir tirée par six chevaux. Une dizaine de cavaliers l’escortaient.
    Hugues et Eleonor l’aperçurent en même temps.
    — L’équipage du sire de Marsico, murmura l’Oriental.
    Eleonor pâlit, son visage se contracta. Elle aurait voulu lui ordonner de l’enlever à l’instant, au lieu de ça elle repensa à son père et à son serment. Elle tourna brusquement les talons et s’éloigna vers les passerelles que les marins étaient en train de jeter par-dessus le plat-bord. Les guerriers fauves avaient pris place sur le quai, repoussant la foule de la pointe de leurs lances.
    La jeune femme fut la première à prendre pied sur le quai. Son grand chien la rejoignit d’un bond et derrière elle, soufflant et suant, son vieux serviteur. Des marins déchargeaient ses coffres et, déjà, un des cavaliers avait mis pied à terre et l’avait saluée, lui désignant la voiture et l’escorte.
    Hugues n’avait pas esquissé un geste pour la retenir, mais un voile noir était tombé devant ses yeux et il avait vacillé sous la violence de ses émotions. Quand Tancrède le rejoignit, il était si livide que le jeune homme crut qu’il allait s’évanouir.
    — Maître... murmura-t-il.
    Hugues lui fit signe qu’il voulait rester seul et, une intense expression de souffrance sur le visage, fixa le carrosse où venait de disparaître la jeune femme.
    Les lourds volets de cuir s’étaient rabattus sur Eleonor, plongeant l’intérieur de la voiture dans l’obscurité. Encore éblouie par le soleil, elle chercha Tara à tâtons puis se cramponna à son cou, enfonçant son visage dans la fourrure tiède en poussant un long gémissement. Quelques instants plus tard, elle sanglotait sans plus pouvoir s’arrêter.

 
    59
    Tancrède devait se rappeler longtemps la réception qui suivit au palais de l’armateur Délia Luna, un palais sur l’île fortifiée d’Ortygie non loin du temple d’Apollon. C’est sur cette île qu’était née Syracuse, de cette île qu’était parti Denys l’Ancien, le bâtisseur d’empire... C’était non loin de là aussi qu’étaient creusées les sombres carrières où étaient morts debout sept mille Athéniens.
    Assis à l’une des longues tables, le jeune homme écoutait distraitement son voisin, Renato Délia Luna. Ses pensées allaient au frère de Renato, Giovanni, qui avait été son compagnon sur le knörr. Il le revoyait gisant au milieu de la tente du jarl, son visage et ses vêtements souillés de sang.
    — Ainsi donc, mon frère est mort noyé ? demanda Renato à qui le capitaine Corato avait raconté la version à laquelle tous à bord avaient décidé de se tenir afin de ne pas salir la mémoire de Giovanni.
    — Euh, oui ! Un malencontreux accident, répondit Tancrède.
    Il n’y eut pas de réaction de la part de Renato. La mort de son jeune frère n’avait pas paru le toucher, pas plus qu’elle n’avait assombri le visage du patriarche au haut bout de la table. Ce centenaire au visage ridé et aux yeux froids dont la main de fer avait fait vaciller la raison de son cadet.
    Tancrède regarda son maître, assis, sombre et silencieux, à la droite du redoutable patriarche. Seul le capitaine Corato, tout au récit de leurs aventures, racontant l’attaque du dromon et l’utilisation de la baliste, semblait goûter l’hospitalité fastueuse et les mets raffinés offerts par ses maîtres.
    Des baies ouvertes, Tancrède apercevait le port et les bateaux qui dansaient sous la lune. Une brise parfumée venait jusqu’à lui. Puis soudain, alors qu’il mangeait distraitement un coquelet farci de dattes, il releva la tête. Il était sûr que son voisin avait prononcé le nom de Marsico.
    — Qu’avez-vous dit ? demanda-t-il soudain.
    Devant l’air étonné de son voisin, il ajouta :
    — Pardonnez-moi, vous parliez du sire de Marsico, si je ne me trompe ?
    — Oui,
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