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La nef des damnes

La nef des damnes

Titel: La nef des damnes
Autoren: Viviane Moore
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médaille qu’il portait au col.

 
    2
    Le détroit de Gibraltar était déjà loin et les navires normands filaient vent arrière vers la mer intérieure. À bâbord se dessinaient les longues grèves, les montagnes et les tours de surveillance almohades de l’al-Andalus, à tribord la côte africaine avec au loin les sommets enneigés de l’Atlas. La blancheur des villages accrochés aux rivages contrastait avec le bleu dur du ciel et de la mer.
    Ils avaient dépassé la ville d’Al-Meriya et son alcazaba, sa forteresse, quand le temps changea brusquement. Les mouettes s’enfuirent vers le nord. Les dauphins qui les avaient escortés s’enfoncèrent dans les profondeurs. Tancrède remarqua que le paro vert pâle qui les suivait depuis la Normandie avait remis toute sa toile pour gagner l’abri du port chrétien.
    Derrière lui retentirent les ordres du capitaine Corato et le tintement aigre de la cloche de bord. La voile avait été affalée, les marins du knörr s’attachaient aux bancs de nage avec des courroies et saisissaient les avirons. Le jeune Normand devait se souvenir longtemps de la rapidité avec laquelle la mer et le ciel se transformèrent. Le vent était tombé, les vagues s’étaient apaisées. Le silence se fit, celui du calme plat et de l’attente. Puis Corato saisit son sifflet pour forcer ses hommes à prendre une cadence rapide. Tancrède tourna ses regards vers la côte africaine et fronça les sourcils devant le spectacle qui s’offrait à lui. Jamais il n’avait vu un ciel comme celui-là. Des nuages rouges avaient obscurci les sommets des montagnes et dévoraient les rivages. En quelques minutes, la côte disparut et ces singulières nuées chevauchèrent les flots, donnant l’impression qu’une muraille se dressait sur la mer.
    Partagé entre la curiosité et l’envie de tourner les ! talons, Tancrède s’agrippa au plat-bord. La muraille venait droit sur eux. Une main se posa sur son épaule et le fit sursauter.
    — Ah ! C’est vous ! dit-il en reconnaissant son maître, le visage masqué d’un turban.
    — Protégez-vous la bouche et les yeux ! ordonna Hugues en lui tendant un voile. Et filons à l’arrière.
    Ils entendaient maintenant les rugissements du vent et aussi quelque chose comme un grésillement. Là-bas devant eux, l’esnèque des guerriers fauves avait disparu. Le nuage projetait vers le ciel un tourbillon compact qui n’était ni de la pluie ni du brouillard. La surface de la mer se striait d’écume aux reflets sanglants et, çà et là, d’étranges bouillonnements l’agitaient. Le jeune homme enroula rapidement le tissu autour de son visage.
    — L’enfer ouvre ses portes ! hurla Hugues pour se faire entendre. Venez !
    Les membrures du knörr craquaient. Les marins augmentaient la cadence de nage. Trébuchant, se retenant aux cordages, Tancrède et son maître regagnèrent tant bien que mal l’arrière. Les nageurs tiraient sur le bois mort comme si leurs vies en dépendaient. Tancrède hésita à les rejoindre.
    — Il n’est plus temps ! s’écria Hugues en le projetant de force devant lui. Il faut vous attacher !
    Des vagues déferlaient par-dessus la proue. L’une d’elles frappa Tancrède qui chancela et tomba à genoux sur le tillac. Une seconde le fit rouler jusqu’au plat-bord. Hugues le rattrapa de justesse par son mantel et l’aida à se relever, puis à s’attacher aux cordages qui couraient le long du château arrière. Luttant contre les bourrasques, l’Oriental s’arrima à ses côtés. Des milliers d’aiguilles transperçaient leurs vêtements et s’enfonçaient dans leur chair. Des nuées de poussière les enveloppaient, obstruant bouches et narines, se glissant sous leurs paupières mi-closes. Leurs oreilles bourdonnaient. Le monde n’était plus qu’un hurlement furieux. Tancrède se recroquevilla, essayant de se protéger.
    À l’intérieur du dortoir, des paquetages étaient tombés, les urinoirs s’étaient renversés sur le plancher, le vent faisait claquer la porte et ravageait tout sur son passage. Eleonor de Fierville s’était cramponnée au cadre de bois d’une paillasse. Gautier, son serviteur, gémissait, entortillé dans son hamac. Dreu, le jeune moine, et le géographe Afflavius avaient été projetés au sol et glissaient sur le plancher à chaque mouvement de roulis. Le chat du bord, Grimoire, blotti à côté des mousses Bertil et le Bigorneau, feulait de peur.
    Attaché par sa
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