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La nef des damnes

La nef des damnes

Titel: La nef des damnes
Autoren: Viviane Moore
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regarder la mer et tous ces pays traversés !
    La jeune femme se reprit, parlant d’une voix plus ferme :
    — Mon père ne voulait pas se priver d’un serviteur plus jeune, alors il a désigné Gautier. Mon vieux Gautier qui, quand j’étais enfant, m’apprenait à poser des collets, à attraper les écrevisses et venait me consoler quand je me faisais mal...
    — Vous devriez vous inquiéter moins de lui, damoiselle, déclara Hugues de Tarse qui les avait rejoints après avoir examiné les autres passagers. Il a le cuir dur alors que vous avez l’air épuisée.
    — Peut-être... Mais non, en fait, messire, je me sens bien, et savez-vous ? Je ne me suis jamais sentie aussi vivante ! Avoir échappé à cette terrible tempête me procure un singulier sentiment d’immortalité.
    Un bref instant, alors qu’elle prononçait ces mots, le regard bleu d’Eleonor croisa celui d’Hugues qui resta à la fixer, ouvrit la bouche pour répondre et, se ravisant, s’inclina devant elle.
    — À vous revoir, fit-il. Vous venez, Tancrède ?
    Eleonor se mordit les lèvres quand l’Oriental se détourne, puis elle haussa les épaules, et se penchant pour caresser son chien, lui murmura à l’oreille :
    — Qu’en penses-tu, Tara ? Je ne sais pas m’y prendre avec ce diable d’homme. Il est si... Je ne sais pas. Imprévisible... et fascinant. Tantôt il semble soucieux de mon sort et l’instant d’après, il m’évite et j’ai l’impression de ne pas davantage exister pour lui qu’un hamac ou une cuillère ! Et puis, d’ailleurs, pourquoi existerais-je ?
    Une ombre passa dans ses yeux bleus. Elle fixait la silhouette qui s’éloignait, admirant son élégance naturelle. Elle aimait son allure, sa longue cape maintenue par une fibule, ce pantalon flottant qu’il appelait un « saroual », ses bottes de souple cuir jaune, son gilet brodé sur sa chemise à larges manches et la ceinture noire qui serrait sa taille mince. Mais, plus que tout, elle était sensible à ce regard noir, brûlant, qu’il posait parfois sur elle. Elle sentit ses joues s’empourprer. Le chien émit un bref grognement.
    — Allez, viens, ordonna-t-elle, revenant à la réalité. Je vais me laver s’il reste un peu d’eau au fond de mon tonneau puis ranger notre cabine. Après tout, peut-être le sire de Tarse a-t-il raison ? Ça n’est qu’un excès de fatigue. Mais il est parfois si brusque...
    Elle s’interrompit en voyant les mousses Bertil et le Bigorneau s’écarter pour la laisser passer. Ils vacillaient et avaient l’air hagard de gens qui ne savent plus où ils se trouvent. Un large hématome s’étendait sur l’avant-bras du rouquin. Le visage du Bigorneau était livide.
    — Vous êtes blessés ? fit-elle, inquiète.
    — Moi, je... J’crois pas, répondit Bertil. On n’a pas bien compris ce qui s’est passé, mais c’était rude !
    — C’est vrai, heureusement nous nous en sommes sortis sans trop de dommages, répondit Eleonor en examinant le bleu. Tu n’as rien d’autre ?
    — Non, damoiselle. Par contre, le Bigorneau y s’est cogné contre une caisse et sa tête a fait un drôle de bruit. Depuis y cause tout seul encore plus qu’avant.
    — Il serait plus prudent que vous alliez voir le sire de Tarse. Il est plus féru en médecine que moi.
    Eleonor désigna la mince silhouette à l’avant.
    — Il est là-bas.
    Bertil jeta un œil vers le visage blafard de son compagnon.
    — C’est que le capitaine y va pas être content si y nous trouve à rien faire, mais bon, vous avez raison, damoiselle, il est aussi blanc qu’un ventre de poisson. Tu viens, le Bigorneau ?
    Le gamin marmonna une réponse incompréhensible et ils s’éloignèrent l’un derrière l’autre. À les voir ainsi côte à côte, Eleonor songea qu’ils étaient aussi dissemblables que le jour et la nuit. Bertil, âgé d’une dizaine d’années, était aussi trapu que son compagnon, le Bigorneau, était squelettique. La tignasse rousse et le visage plein du premier répondaient aux cheveux rares et à la face prématurément vieillie de l’autre.

 
    3
    Tancrède observait la mer. Bien que le simoun se fût éloigné, les côtes de l’Andalousie restaient invisibles et d’épaisses nappes de brume rampaient autour d’eux. Le navire se balançait au milieu d’un halo de lumière, accentuant encore cette singulière opacité.
    « Tout est calme et silencieux, songea-t-il, ne pouvant se défendre d’un
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