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La Gloire Et Les Périls

La Gloire Et Les Périls

Titel: La Gloire Et Les Périls
Autoren: Robert Merle
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avaient abondé de prime quand ils parlaient de Buckie [81] , la cause de tous leurs maux. Mais
après son assassinat, plus du tout. Pour eux, il avait rejoint le diable en son
enfer, l’affaire était réglée. Une fois, une seule, j’ai entendu une
conversation intéressante. Je passais derrière une barrière et, le dos à elle
accotés, deux soldats assis étaient occupés à discuter. L’un était brun et
l’autre roux (un Irlandais, à en juger par son accent). Le roux disait :
    « — Tu veux savoir le vœu que je forme ?
    « — Non, je ne veux pas ouïr ton sacré vœu, dit le
brun.
    « — Je te le dis quand même, dit le roux, je
voudrais que les Français attaquent. Dans l’état que nous sommes, ils
entreraient dans la ville comme dans du beurre.
    « — Et alors, damné idiot, dit le brun, ça te
ferait une belle jambe !
    « — Et comment que ça me ferait une belle jambe,
damné idiot toi-même ! dit le roux. Au moins, eux, ils nous nourriront.
    « Je passai mon chemin sans dire mot. Et que
dire ? Le propos dans la bouche d’un soldat était, certes, scandaleux,
mais pourquoi, au point où nous en étions, jouer les hypocrites ? Ce vœu
que les Français attaquent et nous libèrent de la faim en nous faisant
prisonniers, nous l’avons tous fait…
    Sir Francis fit ici une pause, et ajouta d’une voix
détimbrée :
    — Moi aussi. Et j’étais déjà trop faible pour en avoir
vergogne. Je renonçai à l’appel du matin, car il exigeait des hommes un effort
si peu proportionné à leurs forces qu’il laissait sur le carreau presque autant
de «  D » que l’appel nominal en avait révélé. Je dispensai les
canonniers de rejoindre leurs postes car ils ne pouvaient plus manœuvrer leurs
canons, ni même soulever les boulets. Je supprimai les sentinelles et de jour
et de nuit, parce qu’au bout de deux heures de faction, elles lâchaient leurs
mousquets et s’écroulaient sur le sol.
    « Je ne commandais plus à des troupes, j’avais
l’affreux sentiment de diriger un hôpital, et j’en éprouvais un grand chagrin,
me sentant d’ores en avant sans utilité aucune pour la ville que j’étais censé
défendre. Avant même que la vie m’abandonnât, mon métier déjà me quittait.
    « Le matin du jour que je me fixai pour saillir hors
les murs, je tâchai de me rendre à la maison du maire Guiton pour l’avertir de
ma décision. Je me fis accompagner par deux exempts, l’un à senestre et l’autre
à dextre, afin qu’ils me retinssent de choir s’ils me voyaient chanceler.
C’était un dimanche matin, et je m’étonnai de ne pas ouïr les cloches qui
eussent dû appeler les Rochelais au culte. J’en sus plus tard la raison :
les sonneurs étaient trop faibles pour les mettre en branle.
    « Les rues étaient jonchées de cadavres, lesquels, la
Dieu merci, ne sentaient pas, étant déjà si décharnés. En bas de la porte du
maire Guiton, je vis un brûlot et, à deux pas étendu sans vie, l’homme qui
avait eu le dessein de l’allumer, serrant encore dans sa main crispée le
briquet qu’il n’avait pas eu le temps de battre.
    « Je n’en fus guère surpris. Guiton était meshui autant
haï et honni pour son obstination à ne pas traiter avec le roi qu’il avait été
de prime admiré pour sa ténacité à ne se point soumettre. Je toquai à son huis
si faiblement que je demandai à mes exempts de toquer à leur tour. L’huis
s’ouvrit enfin et une chambrière apparut, fort maigrelette et la face livide.
Elle m’apprit que le maire Guiton s’était pâmé pendant le culte matinal, qu’on
l’avait porté jusqu’en son logis, qu’il tâchait de reprendre ses forces et
qu’il ne voulait voir personne.
    — Sir Francis, dis-je, fort ému de ce récit, peux-je
vous demander comment le soir même de ce jour vous avez réussi à faire déclore
la porte de Tasdon pour saillir hors les murs ?
    — Le plus dur fut de marcher de la garnison jusqu’à la
porte de Tasdon, et ensuite de la porte de Tasdon à la tranchée française. Mais
pour le franchissement de la porte, rien ne fut plus aisé. Je dis aux gardes
rochelais qui j’étais, que Guiton était mourant, que j’allais traiter avec le
roi. Ils m’ouvrirent sans tant languir, la seule difficulté fut pour eux de
tourner l’énorme clé dans sa serrure et ils n’y parvenaient pas, tant ils
étaient sans forces.
    Cette description dantesque des derniers jours de La
Rochelle me plongea dans
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