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La France et les étrangers: du milieu du XIXe siècle à nos jours

La France et les étrangers: du milieu du XIXe siècle à nos jours

Titel: La France et les étrangers: du milieu du XIXe siècle à nos jours
Autoren: Christophe Verneuil
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évidente dans tout ce qu'il faisait et disait, il n'en était rien pour Ginger. Si on lui avait demandé de se définir elle-même, elle aurait répondu: ´ Femme, médecin, bourreau de travail, marginale en politique ª et un certain nombre d'autres choses avant d'ajouter:
    ´ Juive. ª
    C'était uniquement quand elle avait des problèmes qu'elle parsemait son discours de mots yiddish comme si son inconscient accordait à cette langue la valeur d'un talisman, d'une protection contre le malheur et les catastrophes.

    Ćourir dans les rues, laisser tomber tes affaires oublier o˘ tu es, avoir peur de n'importe quoi, te comporter comme une vraie farmishteh, dit-elle avec dédain à son reflet. Les gens qui te voient comme ça doivent te prendre pour une shikker, et les gens ne vont pas consulter un médecin qui picole. Nu ? ª
    La magie du yiddish lui fit du bien, mais pas assez pour redonner des couleurs à ses joues et calmer ses yeux fous. Elle cessa de trembler, mais avait toujours froid.
    Elle se passa de l'eau sur le visage, brossa ses cheveux blond argenté, passa un pyjama et un peignoir
    -sa tenue habituelle pour le mardi. Elle alla dans la petite pièce faisant office de bureau, prit le gros dictionnaire médical sur l'étagère et l'ouvrit à la lettre F.
    Fugue [fyg]. n. ~f. (lat. pop. fuga, fuite). Dissociation grave de la personnalité. Abandon du domicile ou de l'environnement quotidien sur une impulsion. Après la fin de l'état de fugue, il y a habituellement une perte de mémoire à propos des actes commis pendant la fugue proprement dite.
    Elle savait ce que signifiait ce mot; ce qu'elle ne savait pas, c'est pourquoi elle était venue consulter le dictionnaire, qui ne lui apprendrait rien de bien nouveau. Peut-être le dictionnaire faisait-il, lui aussi, office de talisman. Si elle regardait le mot imprimé, peut-être perdrait-il tout pouvoir sur elle. Et dire qu'elle se moquait des personnes superstitieuses. Enfin...
    Elle avait d'autres ouvrages de référence qui auraient pu lui donner plus de précisions sur ce syndrome, ses causes sa signification, mais elle décida de ne pas les consulter. Elle ne pouvait pas admettre que cet accès passager f˚t le symptôme d'un problème médical sérieux.
    Elle referma le dictionnaire et le reposa sur l'étagère.
    Peut-être était-elle trop stressée, trop accablée de travail. C'était cette surcharge qui avait provoqué
    cette fugue brève et unique. Un trou de deux ou trois minutes. Un petit avertissement, en fait. Elle continue-rait à ne pas aller à l'hôpital le mardi et décrocherait une heure plus tôt tous les jours. Ses problèmes seraient ainsi réglés.

    Elle avait travaillé très dur pour être le médecin que sa mère rêvait de la voir devenir, pour se distinguer et, par là même, honorer ses chers parents. Elle avait sacrifié beaucoup de choses pour en arriver à ce point: ses week-ends, ses vacances, la plupart des autres dis-tractions. Et voilà qu'il ne lui restait plus que six mois à faire avant de s'établir à son propre compte.
    Rien ne viendrait s'interposer dans ses projets. Rien ne viendrait lui voler son rêve.
    Rien.
    C'était le 12 novembre.
    Elko County, Nevada Ernie Block avait peur dans le noir. L'obscurité
    d'une pièce n'était pas agréable, mais les ténèbres extérieures, l'immense noirceur de la nuit du nord du Nevada étaient ce qui le terrifiait le plus. Dans la journée, il privilégiait les pièces munies de lampes et percées de multiples fenêtres mais, la nuit, il leur préférait les pièces aveugles parce qu'il lui semblait que la nuit faisait pression contre les vitres comme une créature avide d'entrer pour le dévorer.
    Il avait honte de lui. Il ne savait pas pourquoi il avait peur du noir depuis quelque temps, mais les faits étaient là: il en avait peur.
    Des millions de personnes partageaient sa phobie certes, mais la majorité d'entre elles étaient des enfants. Ernie avait cinquante-deux ans.
    Le vendredi après-midi, lendemain de la fête de Thanksgiving, il travailla seul à la réception du motel parce que Faye était partie dans le Wisconsin rendre visite à Lucy, à Frank et à leurs petits-enfants. Elle ne reviendrait pas avant mardi prochain. En décembre, ils fermeraient l'établissement pendant une semaine et iraient tous les deux passer les fêtes de NoÎl à Milwaukee avec les enfants. Mais cette fois-ci, Faye était partie toute seule.
    Elle manquait terriblement à Ernie. Elle
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