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La France et les étrangers: du milieu du XIXe siècle à nos jours

La France et les étrangers: du milieu du XIXe siècle à nos jours

Titel: La France et les étrangers: du milieu du XIXe siècle à nos jours
Autoren: Christophe Verneuil
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et si adroitement montés que les coutures se discernaient à peine, mais en dehors de cela, il n'y avait rien en eux qui p˚t expliquer la façon dont elle réagit en les voyant. Non, ils n'avaient rien d'inhabituel, d'étrange ou de menaçant. Et pourtant, elle se sentit bel et bien menacée. Non pas par l'homme. Il avait un visage rond, p‚le et ordinaire, des yeux aimables dissimulés derrière de grosses lunettes d'écaille.
    Inexplicablement, de manière tout à fait irraisonnée, c'étaient les gants proprement dits qui l'avaient si subitement terrorisée. Sa respiration se bloqua, son coeur se mit à battre à tout rompre.
    Le plus étrange de tout fut que chaque objet et chaque individu présent dans la boutique se dissipa peu à peu comme s'il n'était pas réel, mais constituait les fragments d'un rêve qui s'effiloche au moment du réveil. Les clients prenant leur petit déjeuner, les étagères chargées de denrées, les vitrines, l'horloge murale avec sa publicité, le tonneau de cornichons, les tables et les chaises paraissaient vaciller et s'évanouir dans la brume qui semblait s'élever de quelque mystérieux domaine souterrain. Seuls les gants sinistres ne disparurent pas. En fait, comme elle les regardait fixement, ils devinrent plus détaillés, curieusement plus visibles, plus réels, et surtout, toujours plus mena-
    çants .
    ´ Mademoiselle ? ª dit l'homme au visage rond. Sa voix semblait venir de très loin, de l'autre extrémité
    d'un interminable tunnel.

    Les formes et les couleurs de la boutique tendaient toutes vers le blanc autour de Ginger, mais les sons, eux, ne s'estompèrent pas, de plus en plus bruyants au contraire, assourdissants, jusqu'à ce que ses oreilles s'emplissent d'un rugissement de conversations et de cliquetis de couverts, jusqu'à ce que le bruit feutré
    des assiettes et le ronronnement de la caisse enregis-treuse fussent pareils à un roulement de tonnerre.
    Elle ne pouvait détacher ses yeux des gants.
    ´ quelque chose qui ne va pas ? ª demanda l'homme, tendant vaguement vers elle sa main gantée de noir.
    Noirs, serrés, brillants... le grain du cuir à peine visible, des coutures très fines le long des doigts... la peau tendue sur les articulations...
    Elle comprit subitement qu'elle devait s'enfuir ou périr. S'enfuir ou périr. Elle ne comprenait pas la nature du danger, mais savait seulement qu'elle devait fuir à toutes jambes ou mourir sur place.
    Serrant son sac à provisions contre sa poitrine, elle se précipita vers la porte sans se rendre vraiment compte qu'elle avait presque jeté à terre l'homme aux gants. Elle ouvrit sans doute toute grande la porte, bien qu'elle ne s'en souvînt absolument pas, et se retrouva dans la rue, dans l'air frais de novembre.
    Alors, elle se mit à courir avec, à sa droite, le trafic de Charles Street-klaxons des voitures, rugissement des moteurs, crissement des pneus-et, à sa gauche, les vitrines de la charcuterie Bernstein.
    Puis elle oublia tout, autour d'elle, le monde venait de s'effacer complètement et elle plongeait dans une grisaille o˘ toutes les formes étaient dissoutes, les jambes pilonnant le trottoir, les pans de sa veste virevoltant, comme si elle fuyait à travers un paysage de cauchemar, obnubilée par la peur. Sans doute devait-il se trouver d'autres piétons, qu'elle évita ou bouscula, mais elle n'en eut aucune connaissance. Elle n'avait conscience que de la nécessité dans laquelle elle était de s'échapper. Elle courait comme une biche alors que personne ne la poursuivait, lèvres étirées en une grimace de terreur pure, sans pour autant pouvoir identifier le danger devant lequel elle fuyait.
    Courir. Courir comme une dératée.

    Provisoirement aveugle, sourde.
    Perdue.
    quelques minutes plus tard, quand les brumes se dissipèrent, elle se retrouva dans Mount Vernon Street, appuyée contre la grille de fer forgé d'une demeure bourgeoise en brique rouge. Ses mains ser-raient nerveusement les torsades de métal, son front se pressait à la balustrade. Elle était en sueur et haletait. Sa bouche était sèche et amère. Sa gorge lui br˚lait, sa poitrine lui faisait mal.
    quelque chose l'avait terrorisée.
    Elle ne se rappelait pas quoi.
    La peur disparut progressivement et sa respiration se fit plus régulière. Son coeur reprit son rythme normal.
    Elle leva les yeux et cligna, regarda autour d'elle, apeurée, abasourdie, tandis que sa vision brouillée s'éclaircissait progressivement. Se
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