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La force du bien

La force du bien

Titel: La force du bien
Autoren: Marek Halter
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l’un de nos amis polonais m’a entraîné sous le wagon. Tous, nous avons filé de l’autre côté, courant à travers champs pendant je ne sais combien de temps, tandis qu’on nous tirait dessus. Aucun d’entre nous n’a été touché. La chance… Plus tard, nous avons été arrêtés par une patrouille de soldats russes. Ils nous ont d’abord pris pour des espions ; l’un d’eux a même voulu nous fusiller. Un autre, plus âgé, l’en a empêché : « Mais non, ce ne sont pas des espions, regarde, ce sont des Juifs qui fuient les nazis !» Les choses se sont arrangées. Enfin, on nous a expédiés à Moscou, en février 1941. Quelques mois plus tard Moscou a été bombardé : ce sera le début de la guerre germano-soviétique. C’est ainsi que, partis pour Londres, mes parents et leurs amis se sont retrouvés sur la place Rouge !
     
    Tant de souvenirs au détour d’un panneau indicateur… Je dis à Vojtek de ne pas faire demi-tour, d’aller à Malkinia. Nous y arrivons sous la neige. La gare n’a pas changé. Cinquante ans après, les mêmes Polonais, les mêmes cheminots, habillés de la même manière. Les trains de marchandises datent de l’époque. Et Vojtek m’apprend (je l’ignorais) que Treblinka est à huit kilomètres… Ainsi, au cours de notre fuite de 1941, nous avons frôlé ce lieu où huit cent mille personnes seront exterminées. Je dis « seront », car ce camp de la mort, au moment de notre errance, n’existait pas encore : il a été édifié un an plus tard, en 1942. En 1941, Treblinka n’était qu’un village ordinaire de Pologne. Pour échapper au pire, nous avons donc longé ces lieux où le pire allait exercer ses ravages !
     
    « Puisque nous sommes à côté de Treblinka, dis-je à mon ami, allons-y. »
     
    J’étais en proie à une sorte d’hallucination lucide, j’avais l’impression de réentendre la confuse mêlée des cris, des aboiements, des pleurs, des crépitements de mitraillettes. Comme dans certains films d’épouvante, où l’on pénètre dans une pièce vide qui, tout à coup, se remplit de bruits de voix. Comme chez Rabelais, lorsque Gargantua entre dans une grotte et y fait allumer du feu par ses moines pour se réchauffer : des voix s’élèvent soudain de toutes parts, et les moines lui expliquent qu’il s’agit de voix qui ont été gelées, de voix de gens qui ont vécu là il y a mille ans, et qui, dans la chaleur du feu, dégèlent et se réveillent.
    La route que nous empruntons est parallèle aux rails. À travers la plaine enneigée, elle longe la voie du chemin de fer. Enfant, je croyais que les rails étaient des griffes noires qui allaient plus loin que l’horizon. Les rails, c’était l’infini. À mes yeux, les rails ne s’arrêtaient jamais. À Treblinka, cette vision d’enfance est stoppée net. Ici, les rails s’arrêtent. On les suit, et, tout à coup, plus rien. La terre rase. Ce terminus des voies ferrées, leur saut dans le néant est commun à l’entrée de tous les camps de concentration. Une différence avec Auschwitz toutefois : à Auschwitz, là où les rails s’arrêtent, il y a ce portail avec son ignoble inscription : Arbeit macht frei (« Le travail libère »). Mais à Treblinka les nazis ont tout détruit pour ne pas laisser trace de leurs crimes. Les rails s’arrêtent dans la plaine enneigée. Comme dans le vide. Il n’y a rien. Que huit grosses pierres dressées comme des stèles. Pas de ruines. Juste une sorte de plate-forme sur la gauche, qui devait être la gare. Un panneau de chemin de fer subsiste, avec son inscription : Treblinka. C’est tout ce qui reste d’un lieu où huit cent mille êtres ont été torturés, assassinés, brûlés.
    Salvador Dali, lors d’une de ses crises de délire visionnaire, a décidé, en y débarquant par hasard, que la gare de Perpignan était le centre du monde.
    Il s’est trompé : le centre du monde est ici, au centre de l’Europe, dans la gare fantôme de Treblinka. Dans ce vide énorme qui a vu passer huit cent mille martyrs, et où l’on ne voit plus rien.
     
    Le village lui-même, en contrebas, est pareil aux villages de Chagall, avec ses maisons de bois, des oies qui courent, des carrioles tirées par des chevaux, des troupeaux de vaches. De vieux paysans discutent debout sur le sol de neige fondante, adossés à l’une de ces barrières en lattes de bois qui délimitent chaque demeure. Le tableau de Chagall, oui. Il ne manque
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