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La force du bien

La force du bien

Titel: La force du bien
Autoren: Marek Halter
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que le violoniste perché sur un toit. Je veux parler à l’un de ces paysans de Treblinka. Pour lui demander s’il savait ce qui se passait là-haut, à moins de deux kilomètres, dans le camp.
    « Tu vas encore tomber sur des antisémites, me prédit Vojtek.
    — On verra bien !»
    Je m’approche d’un petit vieux.
    « Êtes-vous d’ici ? Étiez-vous là pendant la guerre ?
    — Oui.
    — Est-ce qu’il y avait des Juifs ici ?»
    Il ne cille pas.
    « Oui, me répond-il.
    — Que sont-ils devenus ?»
    Là, il me toise :
    « Vous ne le savez pas ?
    — Non. »
    C’est d’une voix profonde, mais non dupe de mon stratagème, qu’il parle :
    « Les nazis les ont exterminés à Auschwitz, et puis ici, à deux kilomètres d’ici.
    — Vous connaissiez ces Juifs ?
    — Certains, oui.
    — Alors, pourquoi vous et les autres n’avez rien fait pour leur venir en aide ?»
    En fait, je me livre à une véritable agression verbale à l’encontre de ce paysan polonais. Il se fâche. Il m’engueule… Dans tous les documentaires consacrés à la Pologne, chaque fois qu’on demandait à des paysans des environs d’Auschwitz, de Majdanek ou de Treblinka ce qu’ils pensaient des Juifs, ils semblaient se réjouir de leur extermination. Celui-là me surprend. Il est bourru, froissé par ma question, mais bougrement sympathique dans sa vareuse bleue, casquette vissée sur la tête.
    « Mais nous, mon frère et moi, on a caché une petite Juive à la maison, monsieur ! Ensuite, mon frère l’a emmenée jusqu’à la frontière russe pour qu’elle puisse se sauver. Puis mon frère a été arrêté, envoyé à Auschwitz. Il s’est évadé en chemin, mais il a été repris par la police polonaise, qui l’a torturé à mort, ainsi que mon père. Tous les deux morts, monsieur. Pour avoir sauvé une fillette juive !»
    Surpris et ému par son récit, je lui présente mes excuses ; nous nous séparons bons amis.
    Plus tard, je confie à Vojtek :
    « On va croire que j’ai choisi cet homme exprès, pour prouver à toute force qu’il y avait des Justes.
    — Il s’agit pourtant du plus complet hasard, s’exclame, non sans raison, mon guide.
    Oui. Le hasard. Mais les choses arrivent-elles vraiment par hasard ?
    Nous étions partis depuis le matin pour Plody, nous y sommes arrivés, après cette erreur de parcours, à cinq heures du soir. Or Plody n’est qu’à onze kilomètres de Varsovie ! En fait, c’était comme si, pour prendre la direction de Marseille, nous avions mis le cap sur Lille – comme, cinquante ans plus tôt, mes parents en route pour l’Angleterre s’étaient retrouvés à Moscou. Ces deux détours extravagants frôlaient Treblinka avant et après l’extermination. Et mon erreur m’avait permis de rencontrer un paysan inconnu qui a fait partie de ce réseau anonyme des Justes sans lesquels aucun Juif n’aurait pu survivre.

6.
    À notre arrivée à Plody, deux enfants blonds se lancent des boules de neige dans le clair-obscur de cette fin d’après-midi. Sans doute, jadis, y avait-il des enfants bruns pour jouer en ces mêmes lieux. Soeur Ludovica m’attend. Lorsque j’ai téléphoné, il y a quelques jours, pour ce rendez-vous, l’actuelle mère supérieure du couvent n’était guère encourageante :
    « Mais soeur Ludovica est très âgée ! Elle a des troubles de mémoire. Je ne crois pas qu’elle puisse rien vous dire. » J’avais insisté, et obtenu, de pouvoir venir. Et soeur Ludovica me dit cette chose délicieuse :
    « Je vous suis reconnaissante de venir me voir, parce que depuis trois jours je prie Dieu pour qu’il me redonne un peu de mémoire et que je puisse tout vous raconter ! Et vous êtes là, et je me sens tout à fait en forme !»
    Nous nous faisons face de part et d’autre d’une table ronde, dans un angle du parloir. Un grand tableau vertical, juste derrière elle, représente une Vierge Marie azuréenne portant couronne d’or. Soeur Ludovica, avec son habit bleu sombre à collerette blanche, est à la fois plus stricte et plus souriante. L’ovale de son visage, qu’allonge l’encadrement de sa coiffe de religieuse, laisse filtrer une expression de douce gravité. Pour soeur Ludovica, qui parle avec naturel, tout est venu dit-elle, de l’intérieur  :
    « Je suis très heureuse que ces enfants aient pu survivre, qu’ils aient pu s’en sortir. C’est une satisfaction, oui… Mais ce que j’ai fait, c’était une
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