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La Fille de l’Archer

La Fille de l’Archer

Titel: La Fille de l’Archer
Autoren: Serge Brussolo
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se demander où est passée la forêt. C’est à peine si douze arbres – simples poteaux dépouillés de leurs branches – tiennent encore debout. Dégringolant du sommet, l’avalanche s’est répandue dans la vallée, n’épargnant rien ni personne. La maison forte de Coquenpot n’a pas résisté à ses coups de boutoir. Les rondins de la palissade et des bâtiments ont été éparpillés tel un fagot piétiné par un cheval. Quant au hameau, il a été rayé de la carte.
    Wallah aide les saltimbanques à sortir du trou. Il n’est guère facile de marcher dans cette neige qui fond et se transforme en boue glacée.
    Titubants, hagards, les baladins luttent pour sortir au plus vite du territoire blanchi par la catastrophe. Çà et là émergent un arbre, la carcasse d’un cheval à l’échine brisée, un cadavre au cou rompu, les membres pliés en des angles impossibles. Le bourreau et sa roue n’auraient pas mieux fait.
    La réverbération du soleil aveugle les fuyards, si bien qu’ils traversent ces lieux de désolation au travers d’un brouillard lumineux qui nimbe le paysage d’un voile irréel. Wallah a la conviction de rêver… ou d’être morte. Ne sont-ils pas, à leur insu, en train de franchir la frontière de l’au-delà ? Cela expliquerait tout, et principalement le miracle de leur improbable survie. La jeune fille a du mal à se persuader que l’avalanche ne les a pas tués. Elle regarde ses compagnons, scrute leur corps pour s’assurer qu’il n’est pas transparent. Elle touche son propre visage, certaine que ses doigts ne rencontreront nulle résistance et s’enfonceront dans cette fumée qui tient lieu de chair aux fantômes. Bézélios n’est-il qu’une ombre qui marche, comme Javotte, Mahaut et Mariotte ? Comme elle-même ?
    Pour un moment encore la neige recouvre tout, mais dès qu’elle aura fondu, ruines et cadavres apparaîtront au grand jour.
    Finalement, Anne de Bregannog a gagné, et c’est à peine si une poignée de survivants échapperont à sa vengeance.
    — Ne restons pas là, lance Bézélios. Allons au sud, nous ferons le point une fois en lieu sûr.
    *
    Ils marchent jusqu’à midi sans échanger un mot. Le hasard les mène aux portes d’un gros bourg. Là, seulement, ils prennent conscience qu’ils sont en haillons et couverts de boue.
    — On ne peut pas se montrer comme ça, gémit Javotte. Faut se décrasser, sinon on nous lancera des pierres.
    Ils descendent vers le torrent et entreprennent de se nettoyer du mieux possible. Il ne serait pas bon qu’on les prenne pour des brigands ou des « Égyptiens » voleurs de poules.
    Comme la bourse de Wallah recèle encore quelques pièces, ils en profitent pour s’acheter des vêtements et déjeuner dans une auberge. La nouvelle de la catastrophe n’est pas encore parvenue jusqu’ici. Quand la cabaretière s’inquiète des estafilades dont ils sont constellés, Bézélios prétexte un accident de charrette. Un essieu cassé, la carriole qui se renverse dans le fossé… C’est crédible et banal, rassurant. La patronne s’apitoie. Puisqu’ils payent leur repas, il n’y a pas lieu de s’alarmer.
    Ils mangent en silence ; même le vin ne réussit pas à les ramener à la vie.
    « Nous sommes morts et nous ne le savons pas encore », se répète Wallah. Gunar lui a raconté, jadis, que ces choses arrivaient parfois et que, dans sa jeunesse, il avait côtoyé un homme tué au combat qui, refusant de l’admettre, continuait à singer l’existence des vivants. 
    — Il était même allé jusqu’à engrosser sa femme, concluait chaque fois Gunar. La pauvre a mis au monde un enfant mort-né, froid comme la glace, et qui poussait nuit et jour des jappements de chiot malheureux. On a enterré le bébé, mais il a continué à pleurer au fond de sa tombe. Quand nous étions gosses, nous collions notre oreille au sol pour l’écouter sangloter.
    — Et le guerrier mort ? demandait rituellement Wallah.
    — Il s’est obstinément refusé à admettre qu’il n’était plus de ce monde. Mais comme il pourrissait sur pied, nous avons été forcés de le chasser du village, car sa pestilence devenait insupportable.
    Petite fille, Wallah a dû entendre cette histoire mille fois sans parvenir à s’en lasser. Aujourd’hui elle se demande si, comme le Viking du conte, elle ne refuse pas d’admettre qu’elle est bel et bien morte dans l’avalanche et que seule son obstination la fait tenir
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