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La croix de perdition

La croix de perdition

Titel: La croix de perdition
Autoren: Andrea H. Japp
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décès, Monge, mon puîné de deux ans, est devenu notre tuteur. Il était… mais je m'en veux de vous ennuyer avec mes ridicules souvenirs. D'un autre côté, je doute que l'opportunité de les conter me soit encore offerte.
    – De grâce, poursuivez.
    Étrangement, l'appréhension qu'Alexia avait jusque-là éprouvée s'atténuait.
    L'invitation sembla apaiser Marguerite, qui repartit dans son univers d'avant les ravages.
    – Monge était un jeune homme chaleureux, généreux, malheureusement crédule. À sa décharge, nous l'étions tous les trois. Or donc, dès qu'elle sentit l'argent, Anne joua les tendres, les éperdues d'amour, et se fit épouser. Nous l'aimions tant, tous. Le bon sens revint à Rolande en premier. Des objets précieux, des bijoux commencèrent de disparaître. Nous accusâmes d'abord les serviteurs, en dépit de leur passé de probité. Il fallut aussi que je me rende à l'évidence : Anne dérobait tout ce qu'elle pouvait, préparant un futur qu'elle savait proche. Il fut impossible de convaincre Monge. Il menaça de nous chasser de la maison si nous persistions dans « nos fables de femelles jalouses », ainsi qu'il les nomma.
    – L'aveuglement des hommes amoureux, commenta Alexia.
    – Il n'en est pas de plus complet. Toujours est-il que nous jugeâmes préférable de nous taire, tout en conservant notre vigilance. Anne s'absentait souvent, au prétexte de visiter ses bonnes œuvres. Déguisée en manante, Rolande la suivit un jour qu'elle rejoignait son « maître », le fameux Arnaud, en une étuve mixte et surtout bordeleuse, bien connue d'Angers. Quelques mois passèrent, ma sœur et moi étions coincées. Monge nous adressait à peine la parole et nous avait ordonné de prendre dorénavant nos repas dans nos appartements.
    – L'a-t-elle quitté ?
    – J'aurais tant aimé, ma chère, qu'elle vide tous nos coffres et qu'elle disparaisse à jamais. Mais le sort devait en décider autrement. Une procédure inquisitoire fut lancée contre son maître pour pratiques de sorcellerie aggravées de culte de latrie 2 . Il faisait peu de doute qu'il lâcherait le nom de ses adeptes sous la Question. Anne prit les devants de cette confession, redoutable pour elle. Elle tenta de l'enherber bien qu'il eût été son amant depuis de longues années. Mais l'élève n'avait pas encore dépassé le professeur. Il ne périt pas mais disparut non sans l'avoir dénoncée à ses juges. Un prêté pour un rendu. Elle fut arrêtée. Monge s'entêta, refusant de croire un seul mot des témoignages accablants qui affluèrent devant le tribunal inquisitoire. La jolie donzelle traînait derrière elle une telle liste de méfaits et d'épouvantables péchés qu'on aurait pu la croire centenaire.
    – La sorcellerie ?
    – Certes, en plus du chantage, de l'escroquerie, du vol, et de meurtres bien terre à terre, dont vraisemblablement celui de sa parentèle, si l'on en croyait son unique sœur rescapée. Redoutant à juste titre pour sa vie, celle-ci avait eu la finesse de se laisser spolier de son héritage plutôt que de le disputer à Anne. Une démone, vous dis-je, depuis l'âge le plus tendre. Toujours est-il qu'elle joua de son ravissant minois devant ses juges, adoptant la seule parade qui lui restât. Accuser à son tour. Dénoncer. Vous savez comme l'Inquisition se réjouit des dénonciations, les considérant comme autant d'amendes honorables, de désir de repentance. La tactique d'Anne consistait à faire accroire qu'elle n'était en rien responsable de ses errements, qu'elle avait été vilement influencée, dupée, poussée vers le péché par des âmes damnées.
    – Monge.
    – Monge, en effet, en plus de son Arnaud de maître. Monge le sorcier ! La procédure inquisitoire se retourna contre lui, contre nous. Je puis me tromper, mais je crois qu'il ne comprit qu'à cet instant la vérité au sujet de sa mie tant adorée.
    – Fut-il traîné en la maison de l'Inquisition ?
    – Non. Monge était un être d'honneur, de sincérité. Voulut-il nous épargner un scandale, un opprobre dont nous ne nous serions jamais remises ? Ne put-il supporter d'être enfin dessillé sur son immense amour ? Toujours est-il que nous le trouvâmes pendu aux poutres de sa chambre.
    – Et elle ?
    – Oh, ces êtres-là possèdent plusieurs vies, ma chère. On ne s'en défait pas avec aisance. Elle s'échappa des geôles de la maison de l'Inquisition grâce à la complicité d'un garde
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