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La croix de perdition

La croix de perdition

Titel: La croix de perdition
Autoren: Andrea H. Japp
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nouveau. Elle était au-delà de tout ce qu'il avait imaginé, rêvé. Elle était autre, chaque ligne idéale de son corps, de son visage servant à souligner la perfection d'une âme et d'un esprit. Il chassa la crainte qui se réveillait en lui. Elle ne serait pas comme toutes celles qui l'avaient un peu déçu, un peu ennuyé, un peu apitoyé. Elle ne serait pas comme Anne. Jamais. Il fallait qu'elle fût autre.
    – De grâce, madame, installons-nous, devisons en amitié devant un verre de vin de Naples, proposa-t-il dans un sourire en désignant le charmant guéridon marqueté, poussé non loin de la cheminée dans laquelle rugissait un feu.
    S'approchant d'elle, il tendit une longue main pâle et carrée qu'elle imagina aussitôt se fermant autour du pommeau d'une épée. Une large pierre noire, une intaille, de l'onyx, sans doute, couvrait la première phalange de son auriculaire. Jeanne défit le fermail 5 de son mantel qu'il plia sur son bras. Elle s'installa sur l'une des chaires 6 , sculptées de roses et d'iris, et ne remarqua qu'alors que les verres de cristal taillé avaient été remplis avant son entrée. Sans même qu'elle ne perçoive son mouvement, un déplacement d'air, un son, il était soudain assis en face d'elle.
    – Monsieur…
    – Chut… Buvons en silence complice. N'aimez-vous pas le silence ? Tant de choses superflues, voire ineptes, s'échangent au gré de nos mots. Au point que l'on y perd le sens, ne trouvez-vous pas ?
    Un sourire, renversant. Il inclina la tête sur le côté, ses longs cheveux aile de corbeau, ondulés, balayant son épaule. Il porta son verre à ses lèvres, fermant les paupières. La trace humide, rouge sang, du vin épais et suave. Elle songea que si elle était amante et non usurière elle aurait adoré baiser son sourire, y récupérer le goût de ce vin qui lui montait déjà à la tête.
    – Si fait. Mais il faut bien des mots pour sceller un… accord.
    – Un pacte, voulez-vous dire ? Le mot vous effraierait-il ? Je ne le crois. Pas de vous.
    Elle vida son verre d'un trait et le reposa. Il le remplit aussitôt. Le poids de ce regard sombre qui ne la quittait pas. L'ombre de ses cils, étonnamment fournis chez un homme, sur sa joue pâle. La puissance disciplinée qu'elle percevait dans chacun de ses gestes. Son souffle, parfois, bouche entrouverte, un souffle de nuit d'amants. Elle se fit la déplaisante réflexion que cet homme était son rêve. Celui de sa vie d'avant. Il y avait une éternité. Il y avait un an. Le sentait-il ? Probablement. Il semblait capable de déchiffrer la moindre de ses émotions. Elle n'en avait cure. Plus rien n'avait d'importance, hormis Aude.
    – Je… J'ai hérité de mon père et de mon mari une assez jolie fortune et…
    Il l'interrompit d'un geste, un air attristé sur le visage :
    – Ah, madame, vous gâchez un moment précieux. Ils me sont comptés au point que je les révère et les savoure dans leurs plus infimes manifestations.
    – Votre pardon, monsieur. Je pensais que…
    – Vous pensiez en femme du siècle 7 . Pressée on ne sait par quelle obligation. Avez-vous remarqué combien les actes, les paroles qui nous semblaient fondamentaux, urgents perdent en importance, en netteté, avec le recul ?
    Elle réprima un rire triste. Il venait de décrire sa vie en une simple phrase.
    – Ajoutez à cela que je suis très riche. J'ignore ce que je possède. Je m'étonne parfois de recevoir le cens 8 sur une mienne terre de Toscane ou de Catalogne. Que ferais-je de votre argent ?
    Un regard d'un bleu presque violet, dévasté, se leva vers lui.
    – Que voulez-vous donc en contrepartie de votre… aide, secours ?
    Il baissa les yeux, caressa son verre de l'index et déclara d'un ton étonné :
    – Vous, bien sûr. Quoi d'autre ?
    – S'agit-il de… Cela ne m'effarouche pas… je…
    – Permettez que je vous arrête à l'instant, madame, avant que des propositions qui vous blesseront ensuite l'honneur – même si l'amour fut leur inspiration – ne sortent de votre bouche. Non, il ne s'agit pas d'une coucherie, ni même d'une liaison. Nous sommes, tous deux, bien au-delà de tout cela. Il s'agit d'un… comment dire… d'un accompagnement à jamais, même dans ces endroits que je fréquente parfois et qui sont par-delà l'effroi. Le prix vous paraît-il soudain trop élevé ?
    – Aucun prix ne me rebute si… j'obtiens la contrepartie dont nous avons discuté.
    – Vous l'aurez. (Il
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