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Je Suis à L'Est !

Je Suis à L'Est !

Titel: Je Suis à L'Est !
Autoren: Josef Schovanec
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En chemin, il croisa Lao Tan. Ce dernier lui tint à peu près ce langage : suppose que toute ta famille pense comme ton fils. Alors, le fou, ce serait toi. Qui peut juger de manière absolue de ce qui est appétissant, gai et beau ? Et l’homme supérieur de Lou, premier des insensés, comment pourrait-il guérir qui que ce soit ? Épargne-toi donc les frais du voyage, et rentre chez toi.
    Les histoires chinoises sont souvent cruelles. La vie des personnes autistes l’est également. Et les siècles de sapience que nous avons supposément acquis depuis l’époque de Lie-Tseu n’ont peut-être pas tant que ça bouleversé la donne.
    Lorsque je suis seul dans ma chambre, je ne me sens pas autiste. Quand je sors dans la rue, je me heurte aux problèmes et aux difficultés. Dans mon univers intérieur, j’ai une liberté de réflexion, d’action et de pensée qui n’a rien de fondamentalement plus restreint que la pensée intérieure de n’importe qui. La difficulté se pose au moment où je tente de faire certaines choses extérieures qui réussissent ou échouent – qui échouent, généralement. Suis-je donc autiste tout le temps ? Quand je suis dehors ? Et si je ne sors plus de chez moi, serai-je encore autiste ? Si je séjourne dans un monastère bouddhiste, où les codes sociaux sont particulièrement rigides et n’exigent pas de longs bavardages, alors, à l’issue d’une phase d’apprentissage, peut-être serai-je plus à l’aise que d’autres et mon handicap de départ deviendra-t-il avantage. Ou encore, pour reprendre l’argument de Lao Tan : quand un non-autiste se retrouve en compagnie d’autistes, qui est à la peine ?
    On objecte souvent à la thèse de la symétrie entre autisme et non-autisme le fait que le premier s’accompagne de graves déficiences, telles que l’absence de la parole, sans laquelle la vie est fort pénible. Sans vouloir remettre en question ce point, trois éléments me viennent à l’esprit. Premièrement, il n’est pas parfaitement établi dans quelle mesure l’autisme s’accompagne d’une absence définitive et non induite socialement de la parole : beaucoup d’enfants non verbaux ne sont pas autistes, et à l’inverse il y a sans doute eu des diagnostics de commodité d’autisme là où ils ne devaient pas être posés.
    Deuxièmement, la question de la parole est socialement déterminée ; non loin d’ici, chez les anciens nomades de Karakalpakie, ou ailleurs en Asie centrale, jusqu’à il y a peu il était possible de mener une vie honorable, en tant que berger par exemple, en étant fort peu verbal. L’observation m’en a été faite par plusieurs personnes : de toutes les sociétés, l’une des plus excluantes pour les jeunes autistes ayant des déficiences pourrait bien être la nôtre, l’occidentale. C’est assurément un constat douloureux. Mais que dire à une maman qui, revenue de vacances d’été en Afrique avec son fils qui n’a en France d’autre perspective que de rester enfermé à vie dans un institut, vous annonce avec un grand sourire que son enfant était là-bas le roi du village et participait à tous les jeux des autres enfants ?
    Troisièmement, les manques sont toujours très relatifs. Diderot, dans la Lettre sur les aveugles , qui au demeurant lui a valu la prison, compare l’absence de la vision de l’aveugle à la situation du moucheron, qui n’a pas de bras mais a des ailes. Objectivement, la plupart des gens ne ressentent pas le manque d’ailes pour voler, alors même que cela pourrait être fort utile. On pourrait allonger la liste des exemples : les non-fumeurs ne ressentent pas le besoin de fumer une cigarette, la plupart des hommes ne ressentent pas celui de tomber enceints et d’enfanter – ce qui perturbe souvent les femmes quand on évoque la question –, ou même, pour reprendre une phrase de Lévinas, le fait que les juifs ne ressentent pas le besoin d’avoir Jésus pour messie scandalise les chrétiens. Et il s’agit là de sujets plus importants que celui de la parole.
    Tout à fait par hasard, il n’y a pas si longtemps,
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