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Il neigeait

Il neigeait

Titel: Il neigeait
Autoren: Patrick Rambaud
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le duc est-il à Paris sans Sa
Majesté ?
    — Mais parlez, jeune homme, parlez !
    — Levez nos inquiétudes !
    — L’Empereur est à Paris, dit Sébastien en tombant dans
un fauteuil doré.

 
CHAPITRE VII
Des héros
    Une nouvelle armée se dirigeait en 1813 vers Leipzig ;
elle s’apprêtait à affronter la coalition des Russes et des Prussiens. L’Europe
fermentait contre l’Empire. La Suède s’était ralliée à l’Angleterre, l’Autriche
hésitait, des pamphlets circulaient en Allemagne et agitaient les esprits. Napoléon
avait levé des troupes, il avait employé la conscription anticipée des très
jeunes gens, le rappel des contingents précédents et des exemptés, l’enrôlement
des marins dans l’infanterie, le rappel de divisions entières d’Espagne où les
Anglais envoyaient pourtant des renforts à Wellington. Les hommes de moins de
trente ans étaient mobilisés mais Sébastien Roque s’en tirait bien.
Vice-directeur de la librairie, à l’hôtel Carnavalet, il mettait sa
perspicacité et ses talents de plume au service de la censure impériale. Il
décidait, arrangeait, remaniait, coupait des textes, distribuait des
permissions aux troupes théâtrales et aux auteurs. Il avait une loge à l’Opéra,
un cabriolet à sa disposition avec un cocher. Les diamants de Moscou
arrondissaient la rente généreuse de l’Empereur. Bref, il était le plus heureux
et le plus serein dans une période turbulente.
    Au jardin des Tuileries, ce printemps, Sébastien monta les
degrés de la terrasse des Feuillants et franchit le portique du restaurant
Véry. Il s’ajusta devant les grandes glaces, vérifia le brillant de ses bottes
à l’écuyère, sa redingote de casimir bronze cannelle au goût du jour. À peine
était-il au pied de l’escalier bordé d’orangers en caisses qu’un maître d’hôtel
le salua :
    — Ces demoiselles sont déjà là, monsieur le
vice-directeur.
    — Dans mon salon habituel ?
    — Bien sûr.
    Sébastien lui remit ses gants, sa canne à pommeau, son
chapeau. Il fila rejoindre les comédiennes qu’il avait conviées à souper. Le salon
privé était décoré dans le style d’Herculanum, demi-colonnes, imitation de
balustrades romaines ; les candélabres dorés, la table de granit, les
vases de fleurs se réfléchissaient dans le vis-à-vis des miroirs.
    — Chères amies, dit-il, pardonnez-moi. J’ai été retenu
par le baron de Pommereul.
    Il s’assit entre les jeunes filles pimpantes. Elles avaient
gardé leurs chapeaux de paille à rubans, plissaient les yeux, battaient des
cils, remontaient leurs bouclettes tandis que des serviteurs apportaient des huîtres
et des poissons marinés ; un sommelier (le mot venait de naître) versait
le vin.
    — Savez-vous qu’ils ont dix-sept espèces de vin blanc
chez Véry ?
    — Nous n’étions jamais venues.
    — Eh bien maintenant vous pourrez vous en
flatter !
    — D’où tenez-vous cette cicatrice sur la joue, monsieur
le vice-directeur ? demanda la plus indiscrète.
    — Une blessure au service de l’Empereur.
    — Vous avez combattu ?
    — En Russie.
    — Vous avez été à Moscou ?
    — Mais oui, et je vous prie de croire que les menus ne
ressemblaient pas à ceux de Véry ! Pas de galantines de volaille ni de
truffes au vin de Champagne.
    Les comédiennes étudiaient les travers de Sébastien en le
faisant parler. Pour obtenir des rôles au Théâtre-Français (il en avait
désormais le pouvoir), elles caressaient sa vantardise. Il n’en était pas dupe
mais le jeu l’amusait. Lui aussi, il tenait un rôle. De toute façon, il leur
accorderait ce dont elles rêvaient, même si elles récitaient de travers leurs
tirades, sans rien exiger en retour. Elles étaient jolies. Il lui suffisait
d’être vu à leurs bras en retraversant les jardins près du palais. On jaserait.
Il voulait se forger une réputation, qu’on répète bientôt son nom dans les
salons et à la Cour.
    — Là-bas, racontait-il entre deux huîtres gobées, le
froid a moins tué que la faim. Auprès de Sa Majesté, nous arrivions à survivre,
mais la plupart des hommes n’avaient rien à manger que leurs chevaux.
    — Quelle horreur ! disait l’une des filles qui
s’en moquait pas mal.
    — Je crois même savoir qu’il y a eu des cas de cannibalisme.
    — Non ?
    — Je n’en ai pas été directement témoin, mais ce n’est
pas impossible.
    — Ils mangeaient les chevaux, vous venez de le
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