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Il neigeait

Il neigeait

Titel: Il neigeait
Autoren: Patrick Rambaud
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une pâtisserie !
    — Nous ne supportions plus une nourriture trop riche,
dit Paulin. Beaucoup des survivants sont morts d’indigestion.
    — Des gâteaux ! criait le capitaine.
    Comme on s’en doute, Sébastien songeait à Mademoiselle
Ornella qu’il était persuadé de revoir un jour, au détour d’une rue, ou même
sur une scène, par hasard. S’il avait gardé d’elle une image précise, déjà sa
voix s’estompait. Dans le souvenir, la voix s’efface la première. Il jugea vain
d’interroger plus avant les deux hommes, proposa son aide financière.
    — Pas besoin, grogna le capitaine.
    — Mais pourquoi donc vivez-vous dans ce trou à
rat ?
    — Parce que je suis devenu un rat, mon jeune ami !
    Le capitaine éclata d’un rire faux. Sébastien pensa :
« En Russie, nous nous sommes tous croisés sans jamais nous rencontrer.
L’aventure nous dépassait, nous avons roulé dans le sens du courant comme les
glaçons de la Bérésina, il ne fallait tabler que sur la chance et sur
l’égoïsme… » Sébastien confia son adresse à Paulin et promit de revenir.
Le domestique le reconduisit à l’escalier.
    — N’hésitez pas, Paulin, si je peux être utile…
    — Il ne veut rien.
    — Il n’a plus de famille ?
    — Je suis sa famille, monsieur Roque.
    — Et le château d’Herbigny ?
    — Monsieur refuse de retourner en Normandie.
    — Il y serait mieux que dans cet immeuble puant.
    — Il prétend que les bruits sans les odeurs ni la
couleur, ça lui ferait trop mal.
    — Que va devenir son domaine ?
    — Monsieur me l’a légué en héritage.
    — Vous seriez à même de vous en occuper ?
    — Oh non, monsieur Roque, je le revendrais sûrement
s’il arrivait un drame.
    — Ce jour-là, pensez à moi, Paulin. Herbigny, c’est
aussi mon pays. Enfin, je disais cela pour vous réconforter, souhaitons qu’il
n’arrive rien de fâcheux…
    — Que voulez-vous qu’il subisse de plus ? Je l’ai
tant de fois empêché de sauter par la fenêtre.
    Sébastien ne trouvait pas de mots ; il s’en alla. La
semaine suivante, comme il rajoutait des vers de Molière, plus vifs, dans une
tragédie de Racine, il apprit par un billet de Paulin que le capitaine
d’Herbigny s’était jeté par la fenêtre, le poing fermé sur une petite croix en
or. Sébastien Roque, vice-directeur de la librairie, griffonna un pense-bête en
marge de sa copie : Prévenir Paulin que j’achète les terres et le
château.
     
    FIN
     

 
Notes Historiques
    Il neigeait. Plusieurs de mes amis, sans se concerter, m’ont
soufflé ce titre. C’est le leitmotiv d’un célèbre poème de Victor Hugo,
intitulé « L’Expiation », qui évoque dans ses Châtiments la
retraite de Russie. En voici le début :
     
    Il neigeait. On
était vaincu par sa conquête.
    Pour la première
fois l’aigle baissait la tête.
    Sombres
jours ! L’empereur revenait lentement,
    Laissant derrière
lui brûler Moscou fumant.
    Il neigeait.
L’âpre hiver fondait en avalanche.
    Après la plaine
blanche, une autre plaine blanche.
    On ne connaissait
plus les chefs ni le drapeau.
    Hier la grande
armée, et maintenant troupeau.
    On ne distinguait
plus les ailes ni le centre :
    Il neigeait. Les
blessés s’abritaient dans le ventre
    Des chevaux
morts ; au seuil des bivouacs désolés
    On voyait des
clairons à leur poste gelés
    Restés debout, en
selle et muets, blancs de givre,
    Collant leur
bouche en pierre aux trompettes de cuivre.
    Boulets,
mitraille, obus, mêlés aux flocons blancs,
    Pleuvaient ;
les grenadiers surpris d’être tremblants,
    Marchaient
pensifs, la glace à leur moustache grise.
    Il neigeait, il
neigeait toujours ! la froide bise
    Sifflait ;
sur le verglas, dans des lieux inconnus,
    On n’avait pas de
pain et l’on allait pieds nus.
    Ce n’étaient plus
des cœurs vivants, des gens de guerre ;
    C’était un rêve
errant dans la brume, un mystère,
    Une procession
d’ombres sous le ciel noir.
    La solitude vaste,
épouvantable à voir,
    Partout
apparaissait, muette vengeresse.
    Le ciel faisait
sans bruit avec la neige épaisse
    Pour cette immense
armée un immense linceul.
    (…)
     
    À quoi ressemblait Napoléon ? Nous n’en savons pas
grand-chose puisque l’imagerie nous ment. Seuls les Espagnols ont donné de
leurs souverains des portraits réalistes jusqu’à la cruauté, princes abâtardis,
monstrueux, princesses dégénérées aux yeux battus et aux longs pifs, brossés
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