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Il neigeait

Il neigeait

Titel: Il neigeait
Autoren: Patrick Rambaud
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dire…
    — Les chevaux se sont mis à manquer. Ils mouraient de
soif.
    — Ils ne buvaient pas de la neige fondue ?
    — Le soir, nous ne les sortions pas toujours du
harnais, il fallait de l’eau, mais où, dans la nuit ? Comment deviner
l’emplacement des cours d’eau gelés ? Même si nous en trouvions un, nous
devions casser la glace avec un pieu de fer, recueillir l’eau dans un vase, le
ramener sans nous égarer.
    Le souper se déroula ainsi. Sébastien enjolivait ou
noircissait selon son inspiration ou les curiosités de son auditoire. Ils
prirent le temps de goûter aux tronçons d’esturgeon à la broche, aux concombres
farcis à la moelle et aux filets de perdrix en anneaux ; ils évoquaient
verre en main l’incendie de Moscou, la famine, le froid, les épidémies, les
cosaques et le bruit du canon. Sébastien raccompagnait ces demoiselles en
cabriolet lorsque son cocher renversa contre une borne un piéton aux habits
fripés. Il regarda par curiosité le quidam, frissonna, commanda qu’on arrête un
instant la voiture, bondit au-dehors et prit congé des actrices :
    — Mon postillon va vous reconduire. Venez demain matin
à Carnavalet, rue Sainte-Catherine, demandez le vice-directeur Roque. Votre
affaire sera arrangée.
    Sans craindre de se salir les bottes dans cette rue boueuse
où débordait l’égout, il se pencha sur le bonhomme renversé.
    — Monsieur Roque ?
    — Paulin, c’est bien vous ?
    — Hélas oui, c’est bien moi.
    — Pourquoi hélas  ? Le capitaine d’Herbigny
est mort ? Vous êtes sans emploi ? Si c’est cela je vous prends à mon
service, en souvenir de tant de souvenirs.
    — Non non, le capitaine est vivant, mais il aurait mieux
valu qu’il soit resté dans les neiges russes.
    — Expliquez-moi…
    — Nous habitons par ici.
    — Vous me faites peur avec vos énigmes !
    Près du marché des Innocents, ils tournèrent dans une
ruelle, gravirent les quatre étages d’un immeuble que des étais de bois larges
comme des troncs empêchaient de crouler. L’escalier était rude, sentait l’urine
et le savon. Paulin soufflait, traînait la patte ; il poussa enfin une
porte sans serrure, fit pénétrer Sébastien dans une pièce carrelée, basse,
noire, qui s’ouvrait sur le puits d’une courette. Dans un fauteuil, Sébastien
aperçut une vague silhouette. Quand le domestique alluma les chandelles, il vit
d’Herbigny prostré, sa croix épinglée au revers d’une robe de chambre ; le
capitaine avait un nez de cuir, des yeux fixes, laiteux, des rides et les
cheveux blancs.
    — Monsieur, lui dit Paulin à très haute voix, j’ai une
surprise pour vous !
    — Il n’entend plus ? demanda Sébastien, la gorge
nouée.
    — Oh si, mais il ne voit plus. Et je crois que sa
cervelle est demeurée là-bas.
    — Je ne suis pas sourd, pauvre idiot ! dit soudain
le capitaine en se levant.
    Il tenait devant lui sa cravache comme une canne d’aveugle,
fit trois pas, se cogna à la table, jura.
    — C’est Sébastien Roque, capitaine.
    — Je sais ! Vous avez parlé. Vous devez savoir que
ce crétin de Paulin ment comme un arracheur de dents ! Non, je ne suis pas
resté là-bas, non, mais j’enrage de ne plus servir à rien, voilà ! Le
maréchal Bessières vient d’être emporté par un boulet, m’a-t-on dit, et Duroc.
J’en rêvais ! Mais nous autres, la valetaille, quand nous sommes entrés en
Prusse… La Prusse ! Je la connais par les yeux de cette gourde de Paulin,
ces belles maisons gris clair ou roses, avec des rideaux blancs aux fenêtres,
des poutres brunes en colombages, la Prusse ! Avant de s’allier aux
Russes, ces crapules nous regardaient passer comme les singes abrutis qu’on
montre sur nos boulevards, et ils nous refusaient le logement, pas même un bol
de soupe, ils nous jetaient des boules de neige, des pierres, ils nous détroussaient !
    — Nous avions réussi à atteindre ce pays grâce à
Monsieur Vialatoux.
    — Le comédien de la troupe de Madame Aurore ?
demanda Sébastien qui sentait cogner son cœur.
    — Lui-même, il nous avait procuré des vêtements chauds
à Vilna, par une combine…
    — Trop long à raconter ! trancha le capitaine.
    — Et les autres comédiens ? insista Sébastien.
    — On n’a vu que celui-là, dit le capitaine, et
figurez-vous que ce niais est mort à Koenigsberg. Vous savez comment ?
Vous ne devinerez jamais, c’est à hurler de rire ! En se bourrant de
gâteaux dans
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