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Il neigeait

Il neigeait

Titel: Il neigeait
Autoren: Patrick Rambaud
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des
armées.
    — L’éternel engrenage, quoi.
    — Au mois de juin 1812, avec plus de cinq cent mille
hommes, Napoléon franchit le Niémen et entra en Russie. Il était confiant. Il pensait
que l’affaire serait réglée en vingt jours.
    — Là, il se trompait, mais comment la victoire
rapide qu’il prévoyait s’est-elle transformée en tragédie  ?
    —  Laissez-moi vous raconter…

 
CHAPITRE PREMIER
Moscou en 1812
    Le capitaine d’Herbigny se sentait ridicule. Enveloppé dans
un manteau clair dont le rabat flottait sur les épaules, on devinait un dragon
de la Garde au casque enturbanné de veau marin, crinière noire sur cimier de
cuivre, mais à califourchon sur un cheval nain qu’il avait acheté en Lituanie,
ce grand gaillard devait régler les étriers trop courts pour que les semelles
de ses bottes ne raclent pas le sol, alors ses genoux remontaient, il
grognait : « À quoi j’ressemble, crédieu ! de quoi j’ai
l’air ? » Le capitaine regrettait sa jument et sa main droite. La
main avait été percée par la flèche envenimée d’un cavalier bachkir, pendant
une escarmouche ; le chirurgien l’avait coupée, il avait arrêté le sang
avec du coton de bouleau puisqu’on manquait de charpie, pansé avec du papier
d’archives à défaut de linge. Sa jument, elle, avait gonflé à force de manger
du seigle vert trempé de pluie ; la pauvre s’était mise à trembler, elle
tenait à peine debout ; quand elle trébucha dans une ravine, d’Herbigny
s’était résigné à l’abattre d’une balle de pistolet dans l’oreille (il en avait
pleuré).
    Son domestique Paulin boitillait derrière en soupirant,
l’habit noir rapiécé avec du cuir, le chapeau bas de forme, un sac de toile en
bandoulière rempli de grains ramassés ; il tramait par une ficelle un
baudet chargé du portemanteau. Nos deux bonshommes n’étaient pas seuls à râler
contre une mauvaise fortune. La nouvelle route de Smolensk où ils avançaient au
pas, bordée d’une double rangée d’arbres géants qui ressemblaient à des saules,
traversait des plaines de sable. Elle était si large que dix calèches pouvaient
y rouler de front, mais ce lundi de septembre, gris et froid, la brume se
levait sur l’encombrement des équipages qui suivaient la Garde et l’armée de
Davout. C’étaient des milliers de fourgons, une pagaille de voitures pour
emmener les bagages, des carrioles d’ambulances, les roulottes des maçons, des
cordonniers, des tailleurs ; ils avaient des moulins à bras, des forges,
des outils ; au bout de leurs manches en bois, quelques lames de faux
dépassaient d’un fardier. Les plus fourbus, travaillés par la fièvre, se
laissaient porter, assis sur les caissons attelés de chevaux maigres. Plusieurs
chiens à poil ras se coursaient et voulaient se mordre. Des soldats de toutes
les armes escortaient cette cohue. On marchait vers Moscou. On marchait depuis
trois mois.
    Ah oui, se souvenait le capitaine, en juin ça avait de la
gueule, quand on avait passé le Niémen pour violer le territoire des Russes. Le
défilé des troupes sur les ponts flottants avait duré trois jours. Pensez donc,
des canons par centaines, plus de cinq cent mille guerriers alertes, Français
pour un bon tiers, avec l’infanterie en capotes grises qui côtoyait les
Illyriens, les Croates, des volontaires espagnols, les Italiens du prince
Eugène. Tant de force, tant d’ordre, tant d’hommes, tant de couleurs : on
repérait les Portugais aux plumets orange de leurs shakos, les carabiniers de
Weimar à leurs plumets jaunes ; voici les manteaux verts des soldats du
Wurtemberg, le rouge et l’or des hussards de Silésie, le blanc des
chevau-légers autrichiens et des cuirassiers saxons, les vestes jonquille des
chasseurs bavarois. Sur la rive ennemie, la musique de la Garde avait joué Le
Nouvel Air de Roland : «  Où vont ces preux chevaliers, l’honneur
et l’espoir de la France… »
    Le fleuve sitôt franchi, les malheurs commencèrent. Il
fallut piétiner dans un désert sous de fortes chaleurs, s’enfoncer dans des
forêts de sapins noirs, subir le froid soudain après un orage infernal ;
une quantité de voitures s’enlisèrent dans la boue. En moins d’une semaine les
régiments avaient distancé les convois de provisions, lourds chariots que
tiraient lentement des bœufs. Le ravitaillement posait un problème grave. Quand
l’avant-garde arrivait dans un village, elle n’y trouvait rien.
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