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Il neigeait

Il neigeait

Titel: Il neigeait
Autoren: Patrick Rambaud
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même
s’il appartenait à une secte d’illuminés allemands dont j’ai oublié le nom…
    — Au fait ! s’impatientait d’Herbigny.
    — Le jeune, il a été livré à la foule, des forcenés,
monsieur, j’en ai encore des frissons dans l’échine, tiens, et il a été
déchiré, ah oui, écorché vif comme un lapin, des exaltés ont attaché son
cadavre à une corde pour le promener en ville, on n’a retrouvé qu’une main avec
trois doigts.
    — Et vous ?
    — J’étais terrorisé, tiens, j’ai cru qu’ils allaient
m’écharper, ces furieux, mais non, pas du tout, j’ai simplement subi un sermon
du comte Rostopchine. Il voulait que je vous raconte ce que je vous ai raconté,
comment les patriotes, en Russie, arrangeaient les traîtres et les mécréants.
    — Voilà qui est dit, conclut le capitaine que les
récits d’atrocités ne troublaient plus depuis belle lurette.
    Il préférait s’informer sur les ressources de la ville, sur
son peuple :
    — Où sont les dignitaires ?
    — Partis.
    — Le gouverneur Rostopchine ?
    — Parti avec eux.
    — L’armée de Koutouzov ?
    — Déjà loin, on vous l’a dit.
    — Combien d’étrangers sont restés ?
    Ils ne savaient pas. La plupart avaient été évacués par
bateaux vers Nijni-Novgorod, mais avant de s’en aller lui-même, Rostopchine
avait ouvert les asiles de fous et les prisons, des forçats devaient courir la
ville pour égorger les Français dès qu’ils y tiendraient garnison ; les
derniers habitants se bouclaient dans leurs caves.
    — Les entrepôts de grains ?
    — Vidés ou épuisés.
    — Comment ça ? Pas de réserves ?
    — Avant l’hiver, Moscou se ravitaille par le fleuve,
mais cette année, à cause de la guerre, le trafic a été interrompu. On peut
trouver du gruau ou de l’avoine peut-être.
    — De la farine ?
    — Les Russes en ont fait du pain et des biscuits, dit
Sautet. Depuis au moins deux semaines, des centaines de chariots les ont
emmenés pour le ravitaillement de l’armée.
    — Le grain des chalands a été renversé dans la Moskova,
poursuivit l’associé, je l’ai vu de mes yeux, monsieur l’officier.
    Entre les tourelles flûtées de l’église, le rapace étranglé
par les chaînes se balançait à présent comme un pendu.
     
    Quand il apprend l’évacuation de Moscou, que par cet abandon
Rostopchine lui a volé son triomphe coutumier, Napoléon est accablé, il blêmit,
ses gestes s’enfièvrent, bientôt incohérents, il change son mouchoir plusieurs
fois de poche, enfile et retire ses gants en se tirant les doigts. Des tics
nerveux le secouent ; il se gratte la joue, marche de long en large, donne
un coup de botte dans un caillou. De la main il demande son cheval, un mamelouk
l’aide à grimper en selle, lui passe les pieds dans les étriers, puis il
traverse le pont et caracole sur la berge, seul devant la porte de Dorogomilov
qu’il ne franchit pas. Il faut d’abord que les troupes investissent cette
fichue Moscou et la quadrillent pour sa sécurité. L’Empereur retourne
brusquement sur la rive gauche de la Moskova avec une énergie soudain revenue,
que dicte sa rage :
    — Berthier !
    — Je suis en face de vous, sire, répond le major
général d’une voix lente.
    — Déployez les régiments autour de la ville. Le prince
Eugène au nord, le prince Poniatowski dans les faubourgs du midi, Davout en
arrière du vice-roi. Mortier gouvernera la province, Durosnel commandera la
ville, Lefebvre fera la police au Kremlin.
    Des estafettes partirent aussitôt porter ces consignes dans
toutes les directions, au moment où le train des équipages touchait au faubourg
et où le capitaine d’Herbigny y retrouvait son domestique :
    — Ce soir, Paulin, nous dormons chez le Tsar !
    — Bien, Monsieur.
    La Vieille Garde s’apprêtait. Déjà, avec le maréchal
Lefebvre, duc de Dantzig, la musique et les grenadiers en bonnets à poil
marchaient vers les murailles. Les chasseurs à pied formaient les rangs. Le
convoi de la maison de l’Empereur arriva à son tour par la nouvelle route de
Smolensk, une longue cohorte de caissons attelés de huit chevaux, des calèches,
des animaux de bât en troupeau, une file d’ânes du Piémont portant chacun deux
barils de chambertin, des cantines roulantes que précédaient les maîtres
d’hôtel et les cuisiniers à dos de mulet.
    — Paulin ! dit le capitaine, on le connaît,
celui-là, il est de Rouen.
    — Qui,
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