Hitler m'a dit
je venais d’entendre ou simplement de l’air des montagnes, auquel je n’étais pas habitué ? Je partageais ma chambre avec Linsmayer. Ce jeune Führer des S.A. était l’un de ces nombreux jeunes gens sympathiques, sincères et véritablement patriotes qui-ont adhéré au mouvement pour des motifs purement désintéressés. Il importe de rappeler l’existence de ces jeunes chevaliers à ceux qui n’admettent que les couleurs de la russe, noir et blanc, et sont incapables de concevoir les mobiles qui ont poussé d’innombrables Allemands à se précipiter, avec les meilleures intentions du monde, dans un courant irrésistible, en croyant fermement à la nécessité de leur sacrifice. Car cette jeunesse sentait bien qu’elle se sacrifiait, qu’elle sacrifiait son insouciance et son droit à la vie.
Il était assez tard lorsqu’on nous prévint qu’Hitler était levé et voulait nous parler. Notre conversation reprit sur le thème de la veille. « Nous devons être cruels, affirma Hitler. Nous devons l’être avec une conscience tranquille. C’est de cette façon seulement que nous parviendrons à extirper de notre peuple l’indulgence molle et la sentimentalité du petit bourgeois, que nous détruirons en lui la « Gemütlichkeit » et la béatitude qui naît au fond des pots de bière. Le temps des beaux sentiments est passé. Nous avons le devoir de contraindre notre peuple aux grandes actions, si nous voulons qu’il remplisse sa mission historique. »
Hitler prit un temps. « Je sais, continua-t-il, que je dois me montrer un éducateur inflexible. Et moi-même, je dois me contraindre à la dureté. Ma mission est plus ardue que celle de Bismarck ou de tous ceux qui lui ont succédé. En effet, il me faut d’abord former le peuple, avant de songer à résoudre les problèmes devant lesquels notre nation se trouve placée aujourd’hui. » Tous ceux qui connaissent Hitler pour l’avoir vu à l’époque héroïque du national-socialisme, savent qu’il avait un tempérament larmoyant et exagérément sentimental, avec une tendance à l’attendrissement et au romantisme. Ses crises de sanglots devant chaque difficulté intérieure n’étaient pas dues à une simple nervosité. Derrière la cruauté et l’inflexibilité d’Hitler, on trouverait le désespoir d’une inhumanité forcée et artificielle plutôt que l’amoralité du fauve obéissant à ses instincts naturels. Cependant, dans la dureté et dans le cynisme inouïs d’Hitler, il intervient encore autre chose que la passion refoulée d’un hypersensible. C’est un besoin irrésistible de venger et punir. C’est un sentiment spécifiquement révolutionnaire qui, à l’instar des nihilistes russes, le pousse à vouloir se faire à toute force, sans discernement ni méthode, le champion des humiliés et des offensés. Nous savons aujourd’hui qu’il n’y a eu pour ainsi dire aucun homme de quelque rang qui ait agi avec une telle méchanceté, avec si peu de pitié, avec une telle soif de vengeance et qui se soit montré aussi mesquin dans la répression d’injustices subies – ou soi-disant subies – qu’Hitler, dont on ne saurait, par ailleurs, citer un seul trait de générosité. En ce temps-là, toutes les pensées d’Hitler étaient en lutte avec la tentation de sortir de la voie légale qu’il s’était tracée lui-même pour arriver au pouvoir et de s’emparer du gouvernement par une révolution sanglante, par une « marche sur Berlin ». Il était constamment harcelé par ses collaborateurs les plus proches, qui l’incitaient à sortir de sa réserve et d’engager la bataille révolutionnaire. Lui-même se trouvait en conflit avec son propre tempérament révolutionnaire, qui le poussait à agir avec toute sa passion, alors que sa sagesse politique lui conseillait de choisir le chemin plus sûr des « combinaisons » politiques et de remettre à plus tard ce qu’il appelait « sa vengeance ». Il est avéré qu’au moment des élections de l’automne 1932 une révolution nationale-socialiste était sur le point d’éclater. Elle aurait d’ailleurs signifié la fin du parti, car la Reichswehr n’aurait pas hésité à noyer le mouvement dans le sang. À cette époque, le parti était hante par cette pensée : « la rue livrée aux bataillons bruns ». Dans ses propos avec son entourage, Hitler supputait constamment les chances d’une occupation brusquée des positions-clés politiques et
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