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Faux frère

Faux frère

Titel: Faux frère
Autoren: Paul C. Doherty
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force imprécations et en avalant bruyamment leurs rasades de vin. Mais ils firent moins que Ranulf. On procéda à un second tour de table.
    — Au meilleur des trois manches ! décréta Wormwood avec irritation. Mais au cas où vous perdriez, Messire, voyons d’abord la couleur de votre or !
    Ranulf glissa une pièce sur la table et ils la fixèrent avec avidité. Ranulf prit le cornet.
    — C’est drôle ! s’exclama Wormwood.
    — Quoi ? demanda Ranulf avec le sourire.
    — Vous nous avez montré votre or, certes, mais... quel est l’enjeu de la partie ?
    Ranulf reposa le cornet.
    — Oh, ne vous l’ai-je pas dit ? précisa-t-il d’une voix doucereuse. L’enjeu de cette partie... c’est vos vies !
    Les mains de Wormwood disparurent sous la table, mais, avant que les autres ne se ressaisissent, Ranulf avait bondi sur ses pieds en renversant son siège. Il leva la petite arbalète dissimulée sous sa cape et un carreau barbelé alla se ficher dans la poitrine de Wormwood avant que ce dernier n’ait eu le temps de saisir son poignard. Ses compères se montrèrent trop lents ou trop éméchés. L’un d’eux s’élança sur Ranulf et vint s’embrocher sur son poignard. Il recula en hurlant, les poings crispés sur la plaie sanglante qui lui trouait le ventre. Les deux autres n’eurent pas plus de chance. Souple comme un chat, Ranulf repoussa la table du pied, coinçant l’un des malandrins contre le mur. Puis il fit quelques pas en arrière en dégainant son épée au moment où le quatrième larron se jetait maladroitement sur lui en marmonnant des jurons d’ivrogne et en brandissant son poignard. Ranulf esquissa une feinte, l’homme le frôla en vacillant et s’écroula à terre, hurlant de douleur lorsque Ranulf lui plongea son épée au creux des reins. Le sicaire coincé entre table et mur essayait toujours de se dégager. Ranulf prit un petit sac attaché à la ceinture d’un de ses adversaires à terre. Il l’ouvrit, versa de la chaux sur sa paume et la jeta au visage de l’homme assis. Celui-ci sursauta violemment en criant de douleur et en tapant du pied. Ranulf se retourna et fit face aux buveurs à présent silencieux.
    — Justice est faite ! déclara-t-il d’une voix de stentor. Quelqu’un veut-il me chercher noise ?
    Seul le silence lui répondit. Il retira son poignard du cadavre et battit prudemment en retraite vers la porte.
    On n’entendait que le raclement des tabourets sur le sol et les gémissements du survivant réclamant de l’eau entre deux malédictions à voix basse. Ranulf se glissa dans les ténèbres et parcourut en hâte les ruelles obscures qui menaient à la Tamise. Là, il nettoya ses armes, les rengaina et longea le quai à la recherche d’une embarcation. Il en trouva une, paya le passeur et monta péniblement dans l’esquif. Lorsqu’ils gagnèrent le mitan du fleuve au fort courant, il contempla la berge. Il n’éprouvait aucun remords. Ces hommes n’avaient eu d’autre raison de s’en prendre à lui que leur recrutement par cette vieille sorcière de Lady Fitzwarren. Ils avaient tenté de les tuer, lui et son maître, et brûlé les yeux de ce pauvre Maltote. Dieu seul savait la gravité du mal ! Il s’appuya à l’arrière de l’embarcation. Le moment venu, il raconterait ses exploits à Corbett. Il pensa à Lady Neville et esquissa un sourire. Peut-être était-il temps qu’il fît d’autres révélations à son « maître à la longue figure » ! Un goéland cria au-dessus de lui, mais il sursauta à peine. Il se rappela ses paroles de défi : lui, Ranulf-atte-Newgate, valait bien un autre homme ! Un jour, il mettrait genou à terre devant le roi qui l’anoblirait et le nommerait à un poste important. Il demanderait alors la main de Lady Neville. Et Corbett ne pourrait pas s’y opposer ! Ranulf ferma les yeux et s’abandonna à ses rêves de gloire.
    Lorsqu’ils atteignirent les marches de Fish Wharf, il était si perdu dans ses pensées que le passeur dut lui donner une bourrade en élevant la voix. Ranulf lui lança machinalement quelques pièces et se retrouva sur le quai. Il se souvenait de la conversation de Corbett et de Puddlicott. L’escroc, à présent enfermé dans un cachot de la Fleet, n’avait pas élucidé certain petit mystère qu’avait négligé le clerc, mais qu’il avait noté, lui, Ranulf. Il se remémora ses ambitions : n’était-il pas temps de faire les premiers pas pour les réaliser ?
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