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Ève

Ève

Titel: Ève
Autoren: Marek Halter
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deux mains. Elle gronda comme une bête, l'arracha de la poigne de Lemec'h. Mon père chancela, manqua de tomber, entraîné par le poids de la coupe. Il leva le visage. Le ciel du crépuscule, couleur de sang, teinta le blanc de ses yeux morts.
    — Tsilah ! Femme ! Que fais-tu ?
    Il tourna sur lui-même, perdu. Son bras libre fouetta le vide dans l'espoir d'attraper le bâton. Ma mère s'éloigna d'un bond. Yaval et Youval se précipitèrent. Yaval voulut ôter le bâton de Lemec'h des mains de ma mère.
    — N'approche pas ! hurla-t-elle.
    Elle brandit la canne, la fit tournoyer devant elle.
    — N'approche pas, fils d'Adah, ou tu rejoindras ton frère Tubal dans la fosse avec une tête toute pareille à la sienne.
    Adah gémit :
    — Tsilah, ma sœur ! Es-tu devenue folle !
    Ma mère était forte et habile. Yaval le savait. Il savait aussi qu'elle tenait toujours parole. Il recula.
    Adah supplia encore :
    — Tsilah, je t'en prie ! Yaval ne porte pas la faute de Lemec'h !
    Dans sa nuit, mon père Lemec'h avait deviné toute la scène. Il s'agrippa au bras de Youval :
    — Cela va ! Cela va, cria-t-il. Que Tsilah s'apaise. Je ne m'opposerai pas à elle.
    Son instinct d'aveugle retrouvé, il chercha à situer Yaval. Il lui tendit la coupe fumante.
    — Prends, fils. Fais pour ton frère ce que ton père ne peut faire.
     
    De grosses torches avaient été enfoncées aux quatre coins de la tombe de Tubal. Yaval les alluma avec les braises de l'autel d'Élohim. Une à une, un à un, tous ceux qui se trouvaient-là s'avancèrent devant la fosse. Chacun déposa une pierre sur le corps de Tubal.
    On pleura, on supplia Élohim de bien vouloir l'accueillir près de Lui :
    — Ô Puissant de l'Éden,
    Toi qui peux tout et juges tout,
    Tends Ta paume sur Tubal
    Lève de sa poitrine la malédiction des générations.
    Que les pierres qui pèsent sur lui deviennent légères
    Et le laissent T'aimer.
    Ceux d'Hénoch retournèrent dans leurs cours. Adah, ses fils et ses filles emboîtèrent le pas de notre père Lemec'h. Ma mère resta accroupie sous la lune devant la tombe de Tubal. Je restai hors des murs de la ville avec elle.
    La lune disparut à l'ouest. Les torches allumées par Yaval continuèrent de brûler faiblement dans la nuit. Les fauves glapirent et les oiseaux de nuit jetèrent leurs cris sinistres. Ma mère Tsilah y lut un mauvais présage. – Élohim nous rejette, gémit-elle, accablée. Élohim rejette Tubal !
     

4
    Les porteurs de la dépouille de Caïn furent de retour après trois jours. Hagards et fourbus, les yeux rougis par la poussière, les lèvres tremblantes. La soif leur brûlait la gorge. Awan n'était pas avec eux.
    Ils vidèrent des cruches, dévorèrent des galettes avant d'annoncer :
    — La Grande-Mère n'a pas voulu abandonner la fosse où nous avons enseveli Caïn. Elle croyait qu'Élohim s'inclinerait vers elle et lui permettrait d'accompagner Caïn dans l'au-delà.
    Personne ne s'en étonna. C'était dans la nature d'Awan de ne pas aimer vivre parmi nous. Mon père Lemec'h en fut soulagé. La Grande-Mère s'était élevée contre lui : revenue dans Hénoch, il ne doutait pas qu'elle y aurait répété ses accusations et ses prédictions effrayantes.
    Les porteurs ajoutèrent :
    — La Grande-Mère avait raison. Tant que nous portions la civière de Caïn, nous avancions vers l'ouest sans encombre. Les bêtes sauvages et les idolâtres se tenaient à distance. Même au plus obscur de la nuit, nous marchions sans crainte. Au retour, ce fut le contraire. Les meutes du pays de Nôd se sont déchaînées contre nous. Ces démons se postaient hors de portée de nos flèches et de nos lances. Mais il était impossible de ne pas entendre leur vacarme. Des cris, des glapissements, des insultes à n'en plus finir ! Inutile de chercher le repos, même le temps d'un clin d'œil. Les idolâtres s'excitaient plus que des fauves : « Votre Élohim vous a abandonnés ! Vous êtes des sans-Dieu ! Votre chair ne tient plus à vos os ! Poussière, poussière, voilà ce que vous êtes ! Demain, on dansera sur vos ventres ! » Nous voulions courir droit jusqu'ici, mais ces démons nous ont égarés plus d'une fois. Leurs dieux maléfiques savent changer les étoiles de place. On croit courir vers l'est et, quand l'aube vient, on découvre que l'on marche vers le nord ou le sud.
     
    Ces paroles attisèrent la peur. L'angoisse se glissa dans les gorges. Elle
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