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Ève

Ève

Titel: Ève
Autoren: Marek Halter
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assombrit tout. Durant une lune, puis deux, tout devint menace. Les crépuscules terrorisaient. Les aubes tourmentaient. Les cœurs et les reins brûlaient de peurs inconnues. Les poitrines nourrissaient des mots de haine.
    Il ne fallut pas longtemps pour qu'ils montent aux lèvres et se transforment en actes.
    Avant ces événements, des filles d'Hénoch venaient s'asseoir sous l'appentis pour apprendre les gestes du tissage. Je les leur enseignais tout en partageant leurs rires et leurs rêves. Après le retour des porteurs, certaines ne vinrent plus. Leurs confidences n'égayèrent plus les moments de travail commun. Puis un jour celles qui restaient encore se dressèrent là, devant moi, ensemble et la bouche débordant de reproches :
    — Nahamma, fille de Lemec'h ! Ce qui nous arrive est ta faute ! La Grande-Mère Awan a dit le vrai : la colère d'Élohim pèsera bientôt sur nous toutes, alors que c'est vous, ceux de Lemec'h, qu'elle devrait frapper.
    Je songeai aux mots que m'avait murmurés la Grande-Mère. Je ne sus que répondre. Elles insistèrent. Je dis :
    — Ne suis-je pas déjà punie, et plus que vous ? J'ai perdu Tubal, mon frère. Il n'y en avait pas un plus fin et beau que lui dans tout Hénoch et il était mon grand-aimé.
    Ces mots augmentèrent leur fureur :
    — Nahamma, ne fuis pas comme Lemec'h ! Tubal a reçu le châtiment qu'il méritait.
    — Qu'avait-il besoin de pousser ton père à aller à la chasse ? De mettre un arc dans la main d'un aveugle ?
    — Lui qui était plus aveugle encore que ton père, incapable de reconnaître la chevelure et la barbe de notre Grand-Aïeul Caïn !
    — Plus menteur qu'un idolâtre. Qui croira qu'il a pu ignorer le signe d'Élohim ?
    — Fille de Lemec'h, toi aussi tu recevras ton châtiment. Ne crois pas que ta beauté te protégera quand se déchaînera la colère d'Élohim. Vous serez les premiers à subir Sa malédiction, vous tous de la maison de Lemec'h.
    Je supportai les insultes en silence. Mes compagnes rassemblèrent leurs laines et leurs cadres à tisser. Elles ne revinrent pas. Le lendemain, quand je retournai à l'appentis, des gamins le quittèrent en courant. J'y entrai le cœur battant. L'air y puait tant qu'on y étouffait. Les garçons avaient brisé les grandes jarres à coup de pierres : les décoctions de terre, de feuilles et de viscères de brebis qui permettaient de teindre les laines en rouge, bleu, noir ou pourpre s'étaient répandues sur la terre battue, la transformant en boue. Cela empestait comme une vieille charogne. Les enfants avaient piétiné mon cadre à tisser. Au moins n'avaient-ils pas eu le temps de le casser.
     
    Je perdis le sommeil. Les mots de la Grande-Mère Awan me tourmentaient.
    Sa prédiction était-elle sérieuse ? Tous ceux d'Hénoch allaient-ils disparaître, sauf moi ?
    Qu'était ce charme que je possédais et qui lui rappelait celui de notre Mère Ève ?
    Serai-je la seule à connaître les temps à venir ?
    Devant l'horreur de cette pensée, des sanglots me soulevaient la poitrine. Le regard fixe dans le noir, j'imaginais cette solitude prophétisée par Awan. Sans plus aucun visage connu autour de moi ! Sans plus entendre la voix de ma mère Tsilah !
    L'effroi me rongeait la poitrine. Le souffle me quittait. Je tentais de me calmer, songeant que la vieillesse de la Grande-Mère Awan était incommensurable. La première, au côté de Caïn, elle avait foulé la poussière désespérante du pays de Nôd. Pendant mille ans elle avait enduré le châtiment infligé par Élohim à son époux aimé. Sa fureur envers mon père Lemec'h, on la comprenait. Son cœur et ses mots débordant de reproches et de haine, on les partageait. Mais ce qu'elle annonçait ne pouvait être possible ! Je me répétais : « Elle n'est plus vraiment des nôtres. Elle appartient aux temps très anciens et ne comprend pas nos jours. L'âge l'aveugle. »
    Ceux d'Hénoch ne pouvaient tous mourir ! Nos générations ne pouvaient disparaître !
    Comment cela pourrait-il seulement s'accomplir ?
    Pourtant, chaque fois, ma raison cédait. Le souvenir du chuchotement de la Grande-Mère écrasait ma poitrine. La vision de l'anéantissement du peuple d'Hénoch me bouleversait à nouveau.
    Et moi seule survivante.
    Oh, pourquoi Élohim ne voulait-Il pas m'effacer avec les autres ? Où irai-je ? Que deviendrai-je ?
    Si seulement Awan revenait de la tombe de Caïn et répondait à mes
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