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Ève

Ève

Titel: Ève
Autoren: Marek Halter
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longtemps que cela puisse advenir ni qu'il en montre le désir.
    Il eut un petit rire qui lui racla la gorge et ajouta :
    — Mais la connaissance de Beyouria, il l'a faite, et par son ventre, on peut dire qu'il se présente à toi.
    Lemec'h fit comme s'il n'entendait pas le persiflage de Yaval. Il demanda seulement un peu durement :
    — Ce nom, Hadahézer, c'est tout ce qui le nomme ? Il n'a pas de père ni ne vient d'aucun pays ?
    Yaval répondit que cet homme devait bien avoir un père et venir d'un pays, comme chacun, mais personne, parmi ceux qui vivaient sous la tente, n'en avait jamais entendu le nom.
    Lemec'h renvoya Yaval à son bétail et resta ensuite silencieux. Nous étions presque endormies quand il frappa de son bâton sur le seuil de notre chambre commune :
    — Eh ! Mes femmes et mes filles, réveillez-vous et écoutez-moi ! Il est temps de cesser de gémir comme des sottes. Demain, à la première lueur, vous me conduirez à la porte du Nord. Nous irons puiser l'eau ensemble. Personne ne vous insultera plus, ô femmes de Lemec'h !
     

6
    Ce fut une étrange procession. Nous, ses filles, allions devant, les grandes gourdes de cuir pendues à nos épaules telles des bêtes mortes. Mon père Lemec'h frappait le sol de son bâton au rythme de nos pas. Il se tenait entre nos mères, Tsilah et Adah, ses deux épouses. Ses yeux blancs fouillaient les ruelles et les murs comme pour débusquer d'éventuelles menaces. Ceux qui apparaissaient sur les seuils nous observaient sans prononcer un mot. Certains quittaient leurs demeures pour nous suivre.
    À notre approche, le silence se fit autour du puits. Le grincement de la corde de cuir sur la poutre s'interrompit. Les enfants qui la tiraient en s'interpellant se turent. Quand nous fûmes assez près, Lemec'h pointa son bâton sur un gamin à la tête rasée.
    — Va me chercher à boire.
    Le garçon remplit un broc de terre cuite et l'apporta en courant. Lemec'h but lentement, puis posa sa paume humide sur la tête du petit.
    — Ma paume te reconnaît, dit-il. Ton souffle et ta chaleur me disent ton nom. Tu t'appelles Muttalu, fils d'Hudarû. Quand tu es né, ton père est venu me voir. Tout petit et nu, braillard et chauve que tu étais, il t'a posé dans mes mains. Il m'a dit : « Lemec'h, celui-là sera pour Élohim. » Tu vois, mes paumes ne t'ont pas oublié.
    Lemec'h retira sa main du front du garçon. Celui-ci resta figé, fasciné par le regard mort qui scrutait son visage mieux qu'un regard vivant. Sa mère s'approcha vivement. Elle lui attrapa le bras et l'écarta de nous.
    Mon père frappa à nouveau le sol de son bâton et haussa le ton :
    — Femmes d'Hénoch, femmes de Lemec'h, Adah, Tsilah ! Écoutez ma parole. Depuis leur premier jour, les mains de Lemec'h accomplissent la volonté d'Élohim. Suis-je allé dans le désert pour tuer Caïn, le père de nos générations ? Ai-je levé une pierre pour abattre Tubal, mon fils le plus cher ? Certainement non. Non et non ! Jamais, entendez-vous ! Je suis seulement Lemec'h, fils de Metouchael, fils de Mehouyael, fils d'Irad et fils d'Hénoch, semence de Caïn. Je suis celui qu'Élohim a choisi pour accomplir la punition du meurtre qui nous condamne à vivre ici, dans la poussière du pays de Nôd. Quand Caïn est entré dans le champ avec Abel, la volonté du meurtre armait son bras. Dans son cœur, il couvait le désir de tuer Abel. La jalousie lui faisait bouillir le sang. Il voulait voir le cadavre de son frère, ah oui ! Puis il a tenté de le dissimuler comme on cache une bête morte, même à la face d'Élohim ! Il l'a roulé dans la tranchée du labour et a jeté de la terre dessus.
    « Mais moi, Lemec'h, ai-je agi ainsi ? Ai-je dissimulé ? Non ! L'accident est arrivé devant la face d'Élohim. Il a tout vu, tout su. Vous aussi, vous avez tout vu et tout su ! La volonté d'Élohim s'est accomplie et m'a emporté. Comme elle a emporté Caïn et Tubal. Où est la satisfaction de Lemec'h ? Quelle soif de vengeance apaise en moi la mort de notre aïeul et celle de mon fils ? Qui dira que j'ai souhaité cet accident ?
    La voix de mon père résonnait dans l'air du matin. Il criait comme s'il voulait atteindre Élohim lui-même, errant dans le haut bleu du ciel.
    — Suis-je Celui qui tient les jours et les vies dans le pays de Nôd ?
    Il se tut brusquement, le visage levé, la bouche ouverte, les lèvres frémissantes, de tous ses traits
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